III - Le dernier jour

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         Ça y est, ils étaient de retour à New York. Mais ni Pierre ni Benjamin n'en étaient foncièrement heureux, c'était leur dernier jour. Ils rendaient le van dans la soirée et reprenaient l'avion dès les premières heures du lendemain matin. Pierre avait l'impression que les deux semaines s'étaient écoulées trop vite, mais il s'était en même temps passé tant de choses pendant ces deux semaines, c'était un ressenti très paradoxal. Il avait déjà retrouvé le bonheur pur en commençant ce voyage surprise. Et surtout, ça faisait à peu près une semaine qu'il pouvait considérer Benjamin comme son copain. Concrètement, pas grand chose n'avait changé. Excepté se tenir la main, ils n'avaient pas beaucoup avancé. Ils s'endormaient toujours dans les bras l'un de l'autre mais ils ne s'étaient pas encore fait de nouveau un câlin, ils ne s'étaient pas encore embrassés et les trois petits mots si symboliques n'avaient pas été une nouvelle fois prononcés depuis le jour où ils s'étaient déclarés. Ce qui avait changé cependant, c'était qu'ils étaient ensemble, ils savaient qu'ils s'aimaient, et même s'ils y allaient doucement, cette situation était magnifique. Ils se connaissaient depuis des années pourtant ils réapprenaient à se connaître et à découvrir l'autre en tant que couple, ils profitaient de leur début de relation encore si fraiche et c'était si plaisant. Pierre mentirait s'il n'avait pas une très grande envie d'embrasser Benjamin mais il respectait l'évolution paisible de leur relation et patientait en sachant pertinemment que l'attente vaudrait le coup.


         Ayant déjà visité New York à l'arrivée, ils avaient tous les deux prévus de passer l'après-midi à Central Park. Ils avaient privilégié un coin tranquille, pour profiter ensemble pleinement des derniers instants de ce voyage mémorable. Et c'est main dans la main qu'ils s'assirent sur un banc un peu à l'écart et qu'ils contemplèrent le cadre autour d'eux. Le paysage était paisible, calme et Pierre avait envie d'arrêter le temps. De rester toute sa vie ici, sur un banc dans Central Park à New York, son camping-car stationné non loin, et tenant la main à Benjamin, à son copain. Comme souvent, les craintes et incertitudes de Pierre revinrent gâcher ce moment. Il n'avait pas envie de partir, mais surtout, il avait peur de comment allait se passer leur retour. Il ne pouvait s'empêcher de se demander comment Benjamin serait. Comment il allait agir à Maison Grise, avec lui et leurs autres collègues. Comment il allait agir en dehors de Maison Grise. Ici dans la caravane, d'une certaine manière ils habitaient ensemble. Mais à Paris, Pierre avait peur de ce que donnerait leur retour chacun dans leur appartement. Ils se voyaient déjà beaucoup pour le travail, mais Pierre espérait aussi qu'ils se verraient en dehors, le soir, pour alimenter leur relation, et la faire grandir. Mais il craignait la façon dont Benjamin verrait la chose, il craignait qu'il se braque, qu'il veuille prendre son temps au point de préférer ne pas voir Pierre trop souvent. Benjamin était indispensable à Pierre, rien que pour s'endormir déjà, et puis surtout pour être heureux. Il avait bon espoir qu'il ne retombe pas dans sa dépression en rentrant à Paris puisqu'il rentrait avec l'amour que Benjamin lui portait. Mais il avait encore des vieux démons qui ne le rassuraient pas, il avait besoin de Ben pour aller complètement mieux. Et il avait plus que peur que Benjamin à son retour à Paris finalement ne se rende compte qu'il avait fait une erreur, qu'il n'était pas autant attaché à lui qu'il ne le pensait pendant ce voyage, et qu'il s'éloigne. Pierre tourna la tête vers Benjamin, et remarqua que celui-ci avait un sourire paisible sur les lèvres alors qu'il regardait le ciel. Pierre sentait toujours ses angoisses lui prendre l'estomac, et il se rappela le conseil que Ben lui avait donné, de toujours communiquer sur ses questionnements sur leur couple. Il allait prendre la parole mais Benjamin le devança, toujours les yeux rivés sur le ciel bleu de New York :


" Le monde est tellement vaste... " lâcha simplement Ben.


         Pierre eut une mine surprise, il ne pouvait certes pas le contredire mais il ne comprenait pas trop à quoi pensait son copain, alors il tenta l'humour comme réponse : 


" Je pensais que t'étais au moins allé à l'école primaire, mais c'est bien quand même de s'en rendre enfin compte Ben...."


         Un petit rire s'échappa du côté de Benjamin, avant qu'il ne s'explique : 


" Le monde est tellement vaste, et pourtant on s'est rencontré. C'était forcément écrit quelque part tu penses pas ? Il y a tant de choses qui auraient pu se passer autrement et ne pas nous mener à ce moment de nos vies. Mais tu vois pourtant, je sens que je suis convaincu au fond de moi que quels que soient les chemins que j'aurai pu emprunté, celui là est le meilleur, et que jamais je n'aurai pu m'épanouir et être autant heureux sans toi. C'est peut-être con à dire mais c'est comme ça, je regrette aucun de mes choix de vie même ceux qui m'ont fait souffrir parce qu'ils m'ont amené ici. "


         Benjamin se redressa et posa ses yeux sur Pierre qui tremblait légèrement de la mâchoire, profondément ému. Pierre lui fit un sourire radieux, et il attendit d'avoir une voix moins tremblante pour lui répondre :


" C'est très touchant Ben ce que tu racontes, et je crois que je suis plutôt d'accord avec toi. Même s'il fallait revivre ces derniers mois de dépression, si je savais qu'à l'arrivée je t'avais toi je le ferais. Je suis tellement content d'où je suis aujourd'hui, d'avec qui surtout, et du séjour j'ai vraiment pas envie de rentrer !

- Pourquoi Pierrot ? s'enquit Benjamin qui dévisageait son copain et commençait à se demander si quelque chose de particulier le travaillait

- Je sais pas Ben, ces surprises, ces vacances, c'était tellement inimaginable et idyllique, elles marqueront à jamais ma vie. Et puis, je redoute le retour à Paris, comment ça va se passer entre nous... " avoua finalement Pierre d'une petite voix


         Pierre sentit du mouvement à ses côtés alors qu'ils gardaient ses yeux rivés sur le sol, honteux. Il sentit deux doigts sur son menton et Benjamin lui releva la tête pour planter ses yeux dans les siens.


" Mon Pierre. Tu le dis toi-même, ce séjour restera inoubliable, pour moi aussi évidemment. Mais il doit se terminer aussi, pour qu'on se fasse d'autres souvenirs ailleurs. Et il ne faut pas que tu redoutes le retour à Paris. Je te promets que je ferais tout pour que tu sois plus heureux que ces derniers temps. Je serais là avec toi, à tes côtés pour te soutenir. Et en ce qui nous concerne, je sais que je suis pudique, et il faudra sûrement que tu sois patient, pour me laisser du temps je me ne sens pas encore prêt à le dire à tout le monde c'est sûr, ni à être proche en public alors qu'on peut croiser des abonnés à tout moment. Mais ça ne change rien au fait que j'éprouve des sentiments pour toi, je tiens à toi Pierre ne l'oublie pas. Et même à Paris, si ça te dit on pourra se voir le soir, se faire des sorties, profiter de l'autre. J'ai bien conscience que ça ne serait pas comme ici, qu'on aura moins de temps parce qu'on travaillera aussi. Mais une part de moi a envie de rentrer, parce qu'elle a envie de découvrir une vie plus classique, un quotidien à Paris mais avec toi Pierre à mes côtés."


         Cette fois-ci Pierre n'avait pas besoin de poser la question. Il le sentait au fond de lui que c'était le bon moment et sans savoir comment, il était persuadé que Benjamin aussi le sentait. Il se rapprocha de Ben qui lui souriait doucement et posa une main sur sa cuisse. Sa deuxième main lâcha celle de son copain pour envelopper sa joue. Pierre se pencha lentement vers lui, pour lui laisser le temps de le repousser si c'était trop tôt, et pour se laisser lui-même le temps de vivre l'instant. Cela ne sembla pas être trop tôt pour Benjamin puisque celui-ci glissa sa main dans la chevelure blonde de son petit copain. Il montra ainsi à Pierre qu'il approuvait, mais ne bougea pas, laissant Pierre mener ce moment pour lui donner confiance en lui. Et Pierre posa enfin ses lèvres sur celles de Benjamin. Leur premier baiser resta chaste et timide, mais il n'en était pas moins fort, il restait fort dans sa signification. Pierre goûtait enfin à ces lèvres si désirées, et il adora la sensation de la barbe de Benjamin frottant légèrement la sienne. Il avait l'impression de revivre. Il ressentait l'amour que Benjamin lui transmettait en répondant doucement à son baiser. Ils étaient si bien, ils se sentaient si heureux, complètement amoureux.

VERRECROCE - Un 5 novembre imprévuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant