Chapitre 3

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La fin du service était toujours une délivrance, que ce soit pour les corps comme les pieds. Les chaussures étaient tout juste à la bonne taille pour chacun d'eux, leurs orteils se recroquevillant et souffrant durant des heures. Léo enferma les siennes dans son casier, sous sa jupe soigneusement pliée, et ce fut avec soulagement qu'il enfila ses bonnes vieilles baskets. A son long soupir, Guillaume rit. Arnaud avait déjà disparu de la circulation, courant probablement dans la rue en talons et jupette, afin d'attraper un tramway dès que possible.

Léo aurait pu faire la même chose : faire fi de ce qui les entourait et quitter les lieux dans son uniforme pour rentrer plus vite. Guillaume le faisait souvent, lui. Fardé de la tête aux pieds, même si quand ses jupons avaient disparu, il donnait toujours cette impression de posséder le monde et que rien ne l'atteignait.

Il ferma sa veste d'un geste rapide pour s'emmitoufler plus qu'à leur arrivée et rabattit sa capuche. Les nuits étaient encore fraîches. Son manteau cachant partiellement ses vêtements, Guillaume glissa discrètement sa main dans la sienne, entrelaçant leurs doigts sans un mot. C'était devenu une habitude, une chose sur laquelle ils ne mettaient pas de mots, parce qu'ils savaient tous deux de quoi il retournait. C'était ainsi. Et ça leur convenait. Depuis deux, peut-être trois mois, Léo appréciait dormir de temps en temps chez Guillaume. Avec Guillaume. De mémoire, il n'avait aperçu la deuxième chambre de cet appartement qu'une fois, lorsque Kyle Warren avait quitté sa chambre et les avait salués brièvement avant de s'y enfermer de nouveau. A présent, ce même Kyle qui hantait le Manoir avec un énorme appareil photo et remplissait un blog à succès pour l'établissement. Tout bougeait. Tout changeait. C'était effrayant, quand il se posait et y pensait simplement.

Dehors, les badauds se faisaient silencieux, presque fantômes, malgré le quartier inlassablement animé. Dans les rues, les sons montaient depuis les boîtes de nuit concurrentes. Il était encore tôt pour un jeudi soir. Les étudiants du tout Bordeaux se tassaient dans les bars et les soirées diverses dans un joyeux brouhaha mal étouffé par les murs. Détournant les yeux d'une vitrine derrière laquelle avait lieu un concours de beuverie plutôt animé, Léo ôta ses doigts de ceux de son camarade et lui jeta un coup d'œil en enfonçant ses mains dans ses poches. Le trajet n'était pas encore fini et ils pouvaient tomber sur n'importe qui ayant trop bu ou avec des idées n'allant pas dans leur sens. Léo voyait beaucoup trop d'articles sur ce genre de mauvaises rencontres.

— T'avais pas envie de te déhancher, ce soir ?

D'ordinaire, Guillaume faisait un long détour par la piste de danse du Manoir. Un parfois très, très long détour. Le jeune homme lui retourna son regard avec un sourire en coin et une moue enjôleuse.

— J'ai envie d'un autre type de danse, pas toi ?

Léo se contenta de rire tout bas.

— Proposé si gentiment.

Dès la toute première proposition de Guillaume, un soir où ils glissaient ensemble sur la piste de danse du Manoir, tard, si tard qu'ils en avaient la tête qui tournait, il avait su dans quoi il mettait les pieds en le suivant. Guillaume avait été clair sur ce qui pouvait se passer entre eux, et Léo était sur la même longueur d'ondes. Ce soir encore, leurs sourires entendus n'en disaient pas moins sur les heures à venir.

Dans la chambre de Guillaume, il y avait toujours une légère fragrance vanillée. Elle lui collait doucement à la peau. Quand Léo enfonçait son visage dans le cou de son collègue et ami, il aimait se laisser porter par ces vagues enivrantes. C'était sexy, comme Guillaume, comme la sensation de leurs mains voguant d'un corps à l'autre.

Le bruit des souffles, des gémissements, parfois des gloussements lors d'un petit raté. Puis les soupirs. Les râles et les grognements. Jouir était toujours plus appréciable entre les doigts d'un autre que les siens. Léo comme Guillaume en avait conscience, et ni l'un ni l'autre ne crachait sur le plaisir qu'ils se donnaient.

Du fil à l'aiguille [Passion au Manoir Pourpre 3] [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant