Chapitre 2

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Mars

Un sweatshirt trop grand. Clair, si clair et si bleu qu'il ressemblait au ciel d'hiver, dégagé et glacé. De longues jambes minces, serrées dans un denim étroit et presque blanc. Un visage fin, malgré une mâchoire un peu marquée. Des lèvres minces. Des cheveux roses, qui provoquaient d'abord l'étonnement pour qui n'était pas habitué à la chose.

Plusieurs semaines avaient déjà passé. Il n'avait pas revu ce type depuis cette brève rencontre et pourtant son image venait le hanter régulièrement. Il n'avait plus qu'un léger tiraillement dans le ventre à chaque fois, ce qui le rassurait. Ce n'était rien. Ça ne durait pas – rien ne durait, après tout. Le temps passant, sa silhouette ne deviendrait certainement plus qu'une ombre disparaissant par les portes. Léo ignorait quel côté du couloir il avait pu emprunter. Il ignorait même si ce type travaillait là. Il y avait une chance pour que ce soit le cas, mais il pouvait également n'être qu'une connaissance de quelqu'un officiant au Manoir. Ou autre, encore. Il y avait tellement de réponses possibles à la question « qui est le type aux cheveux roses » !

Les manches de sa chemise de travail avaient, encore maintenant, une longueur parfaite et tombaient correctement sur ses poignets menus. Son pantalon ne le serrait pas, ni ne dégringolait tout au long du service. C'était parfait. Il n'avait donc aucune raison de revoir ce type, et cette pensée lui semblait parfois amère. Était-il seulement lié au Manoir, d'ailleurs ? Ou n'était-il là que par hasard, affublé d'une mission aussi saugrenue que rendre les uniformes modifiés du personnel ? Allons ! Que lui aurait-il dit, de toute façon ? Qu'aurait-il...

— Léonard ! Votre attention, s'il vous plait !

Il sursauta. Tout autour de lui, le bruissement des voix résonnaient sans interruption dans l'amphithéâtre tandis qu'il reprenait conscience de son environnement. Ses épaules retombèrent sous la déception et plus spécifiquement sous le regard de l'homme qui tapotait du bout des doigts sur son bureau.

— Bien, reprenons.

La voix lente et bientôt chevrotante du professeur l'endormait irrémédiablement à chaque cours, et Léo soupira aussi bas que possible. A ses côtés, un petit rire discret lui fit tourner la tête. Là, son voisin de classe et colocataire, Robin, le regardait de biais, son stylo s'agitant rapidement entre ses doigts.

— T'es dans la lune, souffla-t-il.

— La ferme. Tu me fileras tes notes ?

— OK, tu cuisines ce soir.

Un arrangement pour le moins juste, avaient-ils décidés tous les deux quand la situation s'était répétée à maintes reprises au cours des derniers mois.

Le soir venu, les pensées dans le désordre et le cœur éparpillé aux quatre coins du Manoir Pourpre, Léonard Dupond, dit Léo, était irrémédiablement aux fourneaux et s'en contentait avec plaisir. Ce n'était pas cher payé pour avoir la paix, se disait-il.

Etudiant en lettres le jour et serveur sur son temps libre en semaine, sa vie lui semblait embrouillée quand il se posait et réfléchissait.

Car Léonard Dupond réfléchissait. Beaucoup. Souvent. Trop. Il s'inquiétait, aussi. L'avenir semblait toujours si incertain, pire encore quand ils allumaient le petit téléviseur du salon et tombaient sur les chaînes d'informations. Le futur pour eux, la jeunesse, était flou quelle que soit la voie qu'ils décidaient de suivre. Alors, le plus souvent, il tâchait de se tenir loin de tout ça et se consacrait à ses activités quotidiennes. Il essayait de ne pas penser à sa situation précaire, aux examens, à l'angoisse qui montait d'un cran quand il voyait le temps passer, à chaque fin de semaine quand il vérifiait ses comptes pour la dixième fois en trois jours, avec cette crainte d'avoir oublié un paiement à venir. Cependant, si sa routine était parfois mal huilée, faite d'aléas et d'impondérables, elle fonctionnait malgré tout.

Du fil à l'aiguille [Passion au Manoir Pourpre 3] [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant