Chapitre 9

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Avril

En retard ! Il était en retard, bon sang, pour la première fois depuis le début de son apprentissage ! Quelle idée stupide ! Pourquoi avait-il écouté Juliana et mis ce concert en route dans le salon alors qu'il était déjà si tard ? Pourquoi n'avait-il pas surveillé l'heure ? Pourquoi n'avait-il pas pris en compte qu'ils étaient seulement en début de semaine ?

La jeune femme n'avait pas meilleure mine que lui, à en juger par ses stories postées durant le trajet jusqu'à son travail. Cependant, il lui en voulait : elle aurait pu prendre la peine de le réveiller en voyant qu'il était encore dans son coma post-nuit trop courte. Pourquoi son réveil n'avait-il pas sonné, d'ailleurs ? Il avait pourtant calibré son smartphone afin qu'il s'active chaque jour de la semaine à la même heure, et le petit appareil n'avait pas faibli jusque-là. Enfin, ça, c'était avant ce matin et cette simple pensée, tandis qu'il s'extirpait avec difficulté du tramway bondé en serrant ses affaires contre son sweatshirt, mettait Ethan sur les nerfs. Il détestait le retard. Il détestait courir dans tous les sens dès le réveil, ne pas avoir ces quelques précieuses minutes pour lui, pour boire un chocolat chaud, pour se doucher longuement et rendre la salle de bain si embuée que la vapeur ressemblait à un épais nuage. Ce matin-là, c'était mission impossible. Sa douche était à peine tiède, n'ayant pas pris le temps de faire couler l'eau à la bonne température. Ses cheveux partaient dans tous les sens et il les avait camouflé sous la capuche d'un sweatshirt trop grand. Il avait sauté dans un denim large, oublié sa ceinture et passé le trajet à le retenir par les passants étroits, sauvant à peine sa vertu dans les transports en commun. La fatigue lui collait à la peau et au cerveau, le poussant à se traîner lamentablement jusqu'à la porte principale du Manoir. Le vigil déjà en poste lui adressa un sourire mi-figue mi-raisin.

— Ben dis donc, tu serais pas un tout petit peu à la bourre ? demanda l'homme en poussant la porte pour le faire entrer.

— Accident de réveil, maugréa Ethan en évitant son regard. J'suis pressé, Tian, on fera causette à midi !

Un rire répondit dans son dos, tandis qu'il courait presque dans le couloir pour rejoindre le bâtiment qu'il côtoyait quotidiennement. Aaron ne l'avait pas encore appelé. Soit il n'avait pas vu l'heure, tant ils étaient absorbés par les coulisses du spectacle depuis une semaine, soit...

Ses pieds s'entravèrent dans un tapis mal clouté et sa chute soudaine l'empêcha de penser plus loin. Dans un grand bruit, ses affaires chutèrent avec lui, s'étalant tout autour. La douleur, quand son menton claqua sur le sol, irradia dans son visage et lui arracha un cri.

— Ah, bordel... gémit-il.

Quelques secondes. Il avait besoin de quelques secondes pour que le couloir ne tourne plus, que les couleurs se rétablissent et qu'il comprenne ce qui venait de se passer. Que le souffle lui revienne, aussi. La douleur dans son visage était le plus prenant, envahissant ses pensées en une fraction de seconde. Puis ses affaires, les dossiers et feuillets éparpillés à hauteur de ses yeux.

Un claquement résonna, sec, quelque part dans le couloir. Ethan en était encore à cligner des yeux qu'une voix emplit l'espace pour se faufiler à travers ses pensées éparses.

— Eh, ça va ?

Clac, clac, clac.

Il n'eut pas le temps de chercher une réponse qu'une main ferme attrapait déjà son bras et l'aidait à se relever. Maugréant, Ethan frotta sa mâchoire, insistant sur son menton.

— Merci... souffla-t-il.

Il y eut un silence. Devant ses yeux encore baissés, les petites chaussures vernies portées par les serveuses du Manoir brillaient sous les lumières des néons.

Du fil à l'aiguille [Passion au Manoir Pourpre 3] [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant