Du fil à l'aiguille [Passion au Manoir Pourpre 3] [édité]

Chapitre 10

Il avait les mains qui en tremblaient encore. Des trucs de grand-mère ? Et puis quoi encore ? Il n'avait pas plus débile en stock, comme réplique ? Il s'était pris pour Éric, à essayer de faire le malin avec un truc bizarre comme ça ? Mais il n'était pas le danseur, et ça ne marchait pas avec lui. Il avait juste l'air terriblement gênant avec ce genre de phrase et se mettait lui-même mal-à-l'aise.

Inspirant un grand coup, Léo ruminait ces pensées en boucle tout en fouillant la trousse de secours de leur vestiaire.

Pas là, là non plus... bon sang, où était-ce, la dernière fois qu'il avait vu ce satané tube ? C'était toujours quand il n'en avait pas besoin qu'il tombait dessus, et le jour où il devait absolument le trouver sans tarder...

— C'est pas grave, hein.

Dans son dos, la voix s'éleva dans un ton amusé. Léo inspira brièvement et plongea de nouveau la main dans la boîte à pharmacie.

— Je sais que c'est là, grogna-t-il. 

Et pour couronner le tout, il avait froid. Il était arrivé plus tôt pour profiter du calme de la matinée, quand ses collègues prenaient au contraire leur temps pour glander dans leurs lits.

Il ne s'attendait pas à le trouver vautré au milieu du couloir. Le fracas de sa chute l'avait fait sursauter si fort qu'il allait devoir ôter une partie de son maquillage et prier fort pour ne pas avoir à tout recommencer depuis le début. Il détestait quand ça arrivait, mais, parfois, il n'y avait pas le choix. Par chance, l'autre œil n'avait pas encore atteint cette étape et était encore rattrapable.

Cette journée était censée bien se passer. Arriver plus tôt, retrouver Eden pour deux-trois petits conseils de cuisine, et faire le service de midi... à quel moment est-ce que c'était devenu « fouiller la pharmacie pour trouver l'arnica de Gui » et espérer en étaler sur le figure de ce type ? Non, pas ce type. Guillaume s'était encore fichu de lui deux jours auparavant et appelait cet inconnu « le coup de cœur », sans égard envers Léo. Léo qui pataugeait présentement, sentant le regard de l'autre garçon sur lui. Il ne savait pas s'il devait dire ou faire quelque chose en particulier. S'il en avait envie, d'ailleurs. Souhaitait-il quelque chose en particulier ? Ce qu'il ressentait n'avait aucune raison valable d'exister, à part le fait qu'il s'agissait d'une lubie étonnante de son cerveau. Ce type lui plaisait. Même en n'osant pas le regarder, Léo ne pouvait pas éviter ses traits, son regard quand il croisait le sien par inadvertance – faux, l'autre le dévisageait sans honte. Bref, la panique. Il n'aurait pas dû le faire venir ici. Il était stupide.

Les mains occupées par ses affaires, ce type qui semblait errer épisodiquement dans le Manoir le fixait toujours en silence. Parfois, il tournait la tête de-ci, de-là. Il jetait fréquemment des coups d'œil à l'horloge. Avait-il un planning à respecter ? Où allait-il avec tout ça, au juste ? Il avait jeté un coup d'œil en ramassant les feuilles, curieux. Il y avait de tout, de simples dessins sans queue ni tête à des esquisses plus travaillées mais qu'il n'avait pas eu le temps de comprendre. Trop de couleurs, trop de traits. Des vêtements ? Des corps ? Les formes étaient approximatives, loin de la réalité.

Avant de pouvoir poser enfin une question, n'importe laquelle, Léo étouffa de justesse un cri de victoire en voyant enfin le petit tube orange et blanc. Ses doigts se refermèrent dessus aussitôt. Lorsqu'il leva de nouveau les yeux, il ne manqua pas le sourire en coin de son vis-à-vis. Se moquait-il ? Un frisson désagréable le traversa au milieu d'un élan de panique et il retint une grimace à cette idée. Reprends-toi. Ils ne se connaissaient même pas. Il ne savait pas ce qui pouvait réellement passer à l'esprit de ce garçon. Imaginer quoi que ce soit était une erreur. Reprends-toi, se répéta-t-il.