Chapitre 15

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Les couloirs étaient silencieux quand Ethan les remonta lentement. Pas un bruit de pas, pas un bruissement qui venait troubler la quiétude du Manoir. Les artistes achevaient d'ôter leurs artifices et de nettoyer les loges qu'ils avaient envahies et transformées en champ de bataille sur les heures précédentes.

Il aurait pu être pressé, vu l'avancement de la soirée. Cependant, il avait déjà manqué les derniers bus et tramway et il s'avérait que la nuit avait un tout autre effet au Manoir. Depuis quelques jours qu'il vivait ce nouveau rythme, pris dans cette brume rêveuse, il se délectait de toute cette nouveauté. La boîte de nuit, à l'autre bout des deux grands bâtiments qu'il arpentait, laissé encore filtrer une musique entraînante et à laquelle il n'était pas habitué. Dans le petit atelier de Aaron, l'ambiance était plutôt calme et une vieille radio crachait tout bas des musiques ayant survécu aux années quatre-vingt.

A sa ceinture, son matériel émettait un cliquetis rassurant ; Ethan était seul, mais n'avait rien d'un fantôme et, curieusement, c'était une idée qui le réconfortait. Les contes pour enfant avaient la vie dure chez les adolescents et jeunes adultes, et il n'y faisait pas exception.

Ce samedi-là, c'était une nouvelle soirée de représentation qui s'achevait et avec elle la satisfaction d'avoir mené à bien sa mission. Les accidents avaient été rattrapés, de justesse certes, mais il avait réussi, sous l'œil avisé et fier de son tuteur. Celui-ci s'était même octroyé le droit de quitter un peu plus tôt, rassuré par le fait qu'Ethan pouvait gérer la situation. Ou, plutôt, Aaron y avait été très fortement poussé par les artistes qui voyaient sa fatigue d'un mauvais œil. Le printemps au Manoir promettait des soirées à n'en plus finir, et le jeune homme se demandait comment les gérants de l'établissement étaient capables de résister à autant de responsabilités.

Puis, toutes ces questions s'étaient évaporées au son des talons haut qui claquaient et à la vue des robes qui tournoyaient dans un déluge de mousseline, de satin et de dentelle. Les paillettes, les strass, les bijoux clinquaient. Les rires fusaient. Les exclamations emplissaient l'air, la panique des plus tendus faisait courir à droite, à gauche. Les loges étaient devenues une caverne d'Alibaba, brillant de mille feux à chaque mouvement.

Les sourires n'avaient pas cessé tout au long du spectacle. Les allers et venues de chaque côté du lourd rideau de velours rouge, dans sa plus pure tradition scénique, attiraient irrémédiablement son regard à chaque passage. Parfois, il avait eu un aperçu de la scène, du plancher de bois, des lumières qui dansaient, de l'obscurité qui engloutissait le public.

Lorsque l'effervescence s'était calmée, Vladira l'avait félicité pour son travail, lorsqu'Ethan avait repris une couture trop fragile qui exposait corset, gaines et prothèses sur le corps maigre de l'artiste.

A présent, l'agitation de la soirée s'estompait. Le spectacle était fini. Son cœur se calmait petit à petit et, tandis qu'il revenait un peu à lui, son corps également. Son estomac aussi, d'ailleurs, dans un grondement sourd qui lui arracha un sourire. Au moins, il n'avait pas ri bêtement, seul dans les couloirs, et ce fut sur cette idée rassurante qu'il poussa les portes des cuisines dans l'espoir de grapiller quelque chose...

A l'intérieur, les lumière étaient encore enclenchées, déferlant dans tout l'espace. Des chuchotements attirèrent son attention quand ils cessèrent à son entrée. Plus loin dans l'espace, appuyés contre l'un des comptoirs, Ethan reconnut les deux hommes qui discutaient. Son cœur eut un petit salto de contentement, autant pour l'un que pour l'autre.

— Hey, salut gamin ! T'es encore là ?

— On vient de finir, dit-il en approchant.

— Grosse soirée ? T'as l'air un peu mort.

Du fil à l'aiguille [Passion au Manoir Pourpre 3] [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant