Chapitre 5

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D'un pas décidé, je m'avance vers l'individu qui est le principal sujet de mes angoisses depuis maintenant presque une semaine.

La boule au ventre, bien qu'ayant assez de courage pour mener à bien cet ultime défi qu'Azraël m'a proposé, je tire une chaise au hasard, mais tout de même non loin de cet homme d'apparence banale, mais à la fois sombre et mystérieux.

Élancé et de bonne corpulence, il dégage une assurance bluffante lorsque mes yeux plongent dans les siens, bleu lagon. Ses cheveux bruns hirsutes lui donnent à la fois un côté de bonne famille, mais aussi rebellent, qui n'est pas sans me déplaire. Je pensais jusqu'ici avoir à faire à un homme d'une quarantaine d'années, voire plus, en réalité, il en fait beaucoup moins. Il semblerait même qu'il soit dans mes âges, la trentaine peut-être.

Le fait de me retrouver tout prêt de lui me donne accès à certaines informations qui étaient erronées jusqu'ici.

Ma mission doit donc reprendre de zéro.

À présent attablée dans un lieu où je ne mets habituellement jamais les pieds, la serveuse arrive quelques secondes après et me tend une carte emplie de breuvages en tout genre.

— Un thé à la menthe, s'il vous plaît.

La jeune brune s'éloigne et tout en la suivant des yeux, je me rends compte que mon voisin est ostensiblement en train de m'épier par-dessus son livre.

Ô malheur ! Devrais-je me sentir mal d'avoir un point en commun avec ce type douteux ? Ou tombe-t-il dans le petit piège que j'ai moi-même crée de toute pièce ?

Surprise par sa curiosité à mon encontre, je ne me rends pas tout de suite compte que je suis moi aussi en train de le fixer sans indiscrétion. Et c'est là que je le distingue.

Un sourire goguenard s'étire doucement sur ce visage bien trop attirant et blafard pour ne pas semer la panique en moi.

Ce sourire tend entre un air diabolique et un air moqueur. Pourquoi ? Un tas d'hypothèses se bousculent dans ma cervelle.

Soit il réfléchit à la meilleure façon de m'amadouer.

Soit il se demande comment m'aborder.

Soit il cherche à attirer mon attention et ainsi ouvrir une potentielle discussion.

Soit je suis sa prochaine proie...

Dans tous les cas, tous ces points peuvent se relier entre eux et cela n'augure rien de bon pour moi.

Mon corps est en ébullition. Il s'interroge sur la bonne manière de l'aborder sans trop en faire et sans trop attiser sa curiosité plus qu'elle doit l'être déjà.

Cependant, je n'ai pas à réfléchir trop longtemps, car étonnement, c'est lui qui prend les choses en main.

Étrange venant d'un type excessivement timide auprès de ses collègues de travail...

– Shining ? Je préfère de loin le bouquin au film, dit-t-il d'une voix mélodieuse et douce.

Le reluquant avec insistance, je m'efforce de paraître la plus sereine possible face à ce psychopathe en liberté à moins d'un mètre de moi. Or, ce n'est guère facile, mais il s'est bien pris dans mes filets. Le livre que j'ai choisi a eu l'effet escompté. Aucun psychopathe qui se respecte n'aurai ignoré le livre que je suis en train de feuilleter dans le vide.

– Quoique le film aide à se faire une idée plus précise de l'histoire, ajoute-t-il face à mon mutisme, et de l'angoisse qu'elle génère.

– Stephen King reste malgré tout le génie du suspens. Même au-delà d'un film.

– Je partage votre avis.

Suite à ces paroles, il redresse un peu plus son livre et je devine à la couverture un des romans policiers de Fred Vargas.

Haussant les sourcils face à cette auteure que j'affectionne tout particulièrement, je commence à douter quant au fait que ce soit un pur hasard.

– Un autre style. Bien différent, mais tout aussi intéressant.

Sa manière de s'adresser à moi est plutôt courtoise. Ce type à un savoir-vivre que je ne soupçonnais pas.

Si je ne l'avais jamais croisé, j'aurais pensé avoir affaire à un sauvage sans bonnes manières, mais je vois que c'est l'exacte contraire et cela me désarçonne pas mal.

Qui ai-je vraiment en face de moi ?

La seule réponse qui s'impose, c'est qu'il joue un jeu dans lequel bon nombre de femmes ont dû tomber.

Mais s'il compte m'avoir comme ça, il est sacrément loin d'y parvenir.

Je ne suis pas aussi docile qu'il y paraît, mon cher.

– Excusez-moi, je dois vraisemblablement vous importuner.

– C'est bien vrai.

Mon tacle ne passe pas inaperçu auprès de mon interlocuteur. Fronçant les sourcils, il me lorgne un moment avant de refermer son livre en le claquant et de se lever.

– Je vous souhaite une bonne lecture. En espérant que la fiction ne dépasse pas trop la réalité.

– Justement, on se demande si la fiction de nos jours est encore fictive, ou s'il existe toujours une infime frontière entre les deux, je rétorque en le toisant avec insolence.

Je sais que je ne devrais pas provoquer ce genre de type, mais les mauvaises habitudes reviennent vite au galop et j'ai été prise à mon propre jeu.

Néanmoins, ma couverture n'est pas fissurée pour autant et je compte bien profiter de cet échange pour donner un nouveau tournant à ma mission.

– Dans ce cas, je termine cette discussion en vous souhaitant bonne chance pour la suite.

– Quelle suite au juste ?

– La suite de cette histoire, argumente celui-ci en costume cravate, ou bien la vôtre. Que sais-je ?

Son ricanement est des plus agréables, mais je tente de ne pas laisser mon malaise me trahir, bien que mon cœur tambourine bien trop fort dans ma poitrine.

Je sais comment il s'y prend à présent, mais je dois en savoir beaucoup plus !

AZRAËLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant