Chapitre 11

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Je n'ai pas réussi à sortir le moindre mot depuis la nuit dernière, et j'ai eu beaucoup de mal à dormir toute la matinée qui s'en est suivie.

Azraël n'a pas cherché après moi, bien qu'il semble frustré à travers cet air placide qu'il ne cesse de porter. Dans ma tête, quelque chose me dit que je suis dans un autre tournant de ma vie, un moment important auquel je devrais sans doute prendre de nouvelles décisions qui pourraient avoir un impact plus ou moins capital sur mon avenir.

Malheureusement, je ne sais pas de quoi il en retourne et cela m'effraie à la fois d'en connaître les détails comme de rester dans l'inconnu le plus total.

Doutant énormément de l'impact de cette nuit dernière sur mon quotidien et sur les jours à venir, je fixe, perdu dans les méandres de mes pensées les armes de ma cave qui étaient jusque-là devenues une passion et une soif de liberté sans faille.

— Tu comptes m'ignorer encore longtemps ? intervient Azraël, dans mon dos, son ombre surplombant largement la mienne.

— Détrompe-toi. Je me pose tout un tas de questions, mais je ne t'ignore pas.

— Alors à quoi penses-tu, au juste ? Bien que je doute de la raison.

— À ce qu'il s'est passé cette nuit. Un nombre incalculable d'interrogations se pressent dans ma tête et j'essaye d'y répondre de moi-même, sans grande conviction.

— Je pourrais probablement t'aider.

— Ah oui ? demandé-je, en ricanant. Tu souhaites répondre à mes questions maintenant ? Je te rappelle que tu ne voulais en aucun cas me parler de cette affaire.

— Cet homme est un cas très spécial et très dangereux. Je pourrais potentiellement te mettre en danger si je t'en disais plus que ce que je ne le devrais.

— Alors pour toi, je n'étais pas en danger la nuit dernière ?

— En aucun cas je n'ai ressenti ce sentiment éminent à ton encontre.

— Ça suffit, dis-je sèchement tout en gardant mon calme, je veux tout savoir, Azraël. Tout !

Malgré ma petite taille face à cette créature géante, je me retourne et le scrute sans vergogne, les bras croisés contre ma poitrine, bien décidée à en savoir plus. Beaucoup plus même.

— Gaïa...

— S'il te plaît, Az. Cela devient vital pour moi.

— Je le sais. Cela dit, laisse moi le temps de t'expliquer quelques petites choses avant d'aborder le sujet tant désiré. Ce Caîn peut bien attendre un petit peu, non ?

— Tant qu'on finit par aborder ce sujet, ce n'est pas grave, je peux encore patienter quelques minutes. Mais juste une chose : ne me détourne pas de mon but premier.

— Bien. Alors nous allons commencer par changer de décors, tonne-t-il en gesticulant des mains, comme s'il tournait la page d'un roman.

En moins d'une seconde, nous sommes propulsés dans un monde fantasmagorique quasi-inimaginable, même pour une personne ayant une imagination débordante.

— Où sommes-nous ? murmuré-je, impressionnée par ce paysage qui nous entoure.

— Nous sommes dans le monde des dieux. Des éternels. Des anges. Des démons. Des titans. De tous ces êtres qui semblent aux yeux des Hommes n'être que des histoires.

— Tout cela au même endroit ?

— Non. Actuellement, nous sommes dans le monde des morts, plus communément appelé les Limbes. Les âmes parcourent un long périple afin de trouver leur chemin et d'être redirigé dans un endroit qui leur est propre.

— Tu veux dire comme dans l'Enfer de Dante ?

— Si tu veux, oui.

Cet endroit, où on se trouve, est magique et terrifiant à la fois. Il est obscur et triste, ce lieu ne laisse place à aucune autre couleur que la noirceur. Si l'on ne m'avait pas dit que ce tableau n'était autre que les limbes, autrement dit les portes de l'Enfer, je crois que je lui aurais donné de moi-même ce nom.

— Et quel autre monde existe encore ?

Le monde des rêves, des enfers, des désirs, du paradis, du désespoir...

— Tout ça ?

— Ce n'est qu'une infime partie.

— J'aimerais tellement tout découvrir, tout connaître de ce monde que tu me contes.

— Malheureusement, je ne peux pas t'offrir cela dès maintenant. T'avoir emmené jusqu'ici est déjà un pas énorme que je n'aurais jamais dû faire. Jamais aucun humain n'a mis un pied dans notre univers. Tu es une humaine qui est entrée dans un monde fermé aux Hommes. Gaïa, tu n'es plus n'importe qui. Tu as des exigences, c'est vrai, et tu as le droit d'en avoir. Néanmoins, tu dois aussi répondre à des exigences, et non plus les miennes, mais celles que l'on me demande. Je ne suis pas le seul à décider, même si je dirige le monde des morts.

N'être plus qu'un simple humain aux yeux d'Azraël me flatte beaucoup, mais me terrorise aussi. Je vais devoir travailler pour tout un pan de cet univers que l'ange me fait enfin découvrir. Non pas seulement pour lui-même et lui seulement, mais aussi pour Lucifer, pour Dieu, pour le maître des rêves, pour tout un tas de personnes qu'il ne faut en aucun cas que je me mette à dos. C'est une tâche qui va s'avérer plus ardue que celle à quoi j'aspirais jusqu'à maintenant avec Azraël.

— Et en quoi tout ceci a un rapport avec Caîn ?

— Tu dois sûrement connaître la célèbre histoire des frères Abel et Caïn ?

Je hoche de la tête ne sachant pas vraiment où il veut m'emmener ni si mon intuition va se confirmer.

— Eh bien, Caïn est la première personne faite de chair et d'os à avoir commis un meurtre et non pas des moindres. Un fratricide. Le premier d'une longue série que les Hommes ont répété, héritage d'un assassin jalousant son propre sang.

— Un héritage ?

— Exactement. Caïn est l'ancêtre des Hommes. Il a montré qu'il y a en vous, une force de séparation, corrélée avec le désir, qui peut devenir violence destructrice et conduire au meurtre.

— Et quel rapport avec ce fameux Caîn ?

— Il est là le lien, Gaïa ! Caîn est Caïn !

Alors c'est donc ça ? Ma théorie loufoque se confirme bel et bien. Après tout ce que je découvre, cela ne devrait plus trop m'ébahir, or, je suis encore à un stade où tout cela me semble encore illusoire et inconcevable.

AZRAËLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant