AZRAËL

Chapitre 25

Je reste là, ma main suspendue dans l’air entre nos deux corps, tremblante et hésitante.

Le feu en moi crépite, impatient, comme s’il reconnaissait en lui un écho de sa propre nature. Ce lien que je ressens, cette attraction, me dévore autant qu’elle me consume. J’aurais dû fuir, écouter les conseils d'Azraël, je le sais, mais une part de moi veut comprendre. Je suis attirée par lui d'une manière que je ne peux pas expliquer, comme si nous étions liés bien avant notre première rencontre.

– Que m’arrive-t-il ? murmuré-je, mes doigts frôlant les siens.

À ce simple contact, une vague de chaleur intense traverse mon corps, mêlant plaisir et douleur. Ce n’est pas seulement mon nouveau don. C’est quelque chose de plus profond, de plus primale.

Caîn m’observe, son regard bravant d'une manière si aisée chaque barrière que j’ai érigée pour me protéger durant ces dernières années.

– Tu es en train de découvrir ta véritable nature, Naya dit-il calmement, comme si la réponse avait toujours été évidente pour lui, ce feu que tu contrôles dorénavant, ce pouvoir que tu crois nouveau, donné de bon gré par je ne sais quel dieu, n’est pas seulement un outil de justice. C’est un lien avec quelque chose de plus grand. Quelque chose qui nous dépasse, qui remonte à un passé lointain.

Ses mots éveillent en moi un tourbillon d’émotions contradictoires. Une partie de mon être est terrifiée par l’idée de perdre le contrôle, de devenir ce que je traque. Néanmoins, une autre, plus profonde, est attirée par ce qu’il dit, par cette énigme qui m'est inconnue.

– Tu dis que je vais devenir comme toi, dis-je en reculant légèrement, essayant de retrouver un peu de lucidité, mais je ne veux pas tuer pour tuer. Je rends justice pour sauver les plus fai...

– Je sais.

Il hoche la tête, son sourire toujours présent, comme s’il connaissait mes pensées avant même que je les formule.

– Tu crois que tu rends justice, Naya, mais ton feu va avoir soif de plus. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne dépasse tes intentions. Tu le sens déjà, n’est-ce pas ?

Mes flammes ont déjà montré des signes de rébellion alors même que je ne les contrôle pas tout à fait, alors je suppose qu’il dit vrai. Ce pouvoir, que je crois maîtriser, me domine de plus en plus sans que je n'en prenne conscience.

À chaque fois que je vais le libérer, il deviendra plus difficile à contenir.

– Mais alors, pourquoi moi ? Pourquoi sommes-nous liés ?

Je le scrute, cherchant une explication à cette connexion qui me dépasse.

Caîn s’approche lentement, et cette fois, je ne recule pas. Sa présence est écrasante, mais elle m’apaise aussi, comme si une part de moi attendait ce moment depuis toujours.

– Parce que nous sommes deux faces d’une même pièce. Le feu en toi appelle l’obscurité en moi, et vice-versa. Tu n’es pas seulement une juge. Tu es une exécutrice, tout comme moi. Ton feu veut brûler ce monde, et au fond, tu le sais. Tu aspires à beaucoup plus, Naya.

Je sens un frisson parcourir ma colonne vertébrale. Une part de moi veut rejeter ses paroles, mais une autre, plus enfouie, y trouve une résonance inquiétante.

Peut-être qu’il a raison. Peut-être que j’ai toujours su, au fond, que je voulais aller beaucoup plus loin que de simple jugement et vengeance, que je me suis voilé la face en admettant que je faisais le bien. En réalité, mes actions n’étaient pas qu’un moyen de rendre justice, mais c'était une force plus obscure, une soif de destruction qui se cachait derrière de bonnes intentions.

Je ferme les yeux, cherchant à faire taire ces pensées sadiques, mais c’est impossible.

– Et toi ? soufflé-je, rouvrant les yeux pour le fixer. Es-tu seulement un bourreau, ou es-tu autre chose ?

Celui-ci me jauge, son visage s’adoucissant légèrement, mais son aura restant aussi impénétrable que jamais.

– Je suis ce que tu deviendras si tu t’abandonnes complètement à ce feu. Cependant, je suis aussi celui qui comprend ton tourment, celui qui peut t’aider à canaliser cette puissance. Ensemble, nous pourrions être plus forts que tu ne l’as jamais imaginé. Pour cela, tu dois accepter ce lien, Naya. Tu dois l’embrasser et le prendre à bras-le-corps.

Son regard intense plonge dans le mien, je sens que l’instant de décision approche. Ce pouvoir, cette connexion, est à la fois une tentation irrésistible et un abîme sans retour. Si je lui prends la main, si j’accepte notre lien, je ne serai plus jamais la même. Mais si je refuse, continuerai-je à lutter seule contre un feu qui ne demande qu'à me dévorer de l’intérieur ?

Je suis à la croisée des chemins, et l’ombre salvatrice de Caîn plane sur ma décision, me promettant à la fois puissance et perdition.