- Putain ! s'écrie Justin avant de refermer la porte.
Malgré la vitesse dont il a usé pour le faire, mes yeux viennent de scanner l'image de l'une de ces horreurs foncer vers nous, la bouche grande ouverte, en poussant un grognement infâme. J'en tombe à la renverse, choquée, alors que Justin fait déjà basculer l'armoire en travers de la porte. Désormais, je peux les entendre cogner contre celle-ci.
- Oh mon dieu, Justin, hurlé-je, terrifiée.
- Et merde putain !
- Comment...
- J'en sais rien ! On a dû faire trop de bruit. J'ai sous-estimé leur nombre, répond-il en ayant du mal à tenir en place.
Je me relève pour m'éloigner de cette porte assiégée.
- Il faut qu'on les tue avec l'arme qu'on vient de trouver, Justin, on n'a pas le choix !
Justin cesse de gesticuler pour me regarder.
- Non... Ils sont trop nombreux. On n'a ni l'agilité ni le nombre de munitions adéquats...
Ça sonne comme une sentence irrévocable.
- Alors quoi ?
- J'en sais rien, Rivers !
- Et s'ils restaient là pendant des jours et des jours ?
Vu l'énergie qu'ils mettent à essayer d'entrer dans la pièce, je doute qu'ils laissent tomber de sitôt.
- Eh bien, on sera obligés de rester ici nous aussi, à moins qu'autre chose ne détourne leur attention. Je te rappelle que j'étais coincé dans un distributeur avec cinq de ces trucs en face de moi. Si tu n'avais pas fait autant de bruit, ils seraient restés là à me fixer encore longtemps.
Ce que Justin vient de dire m'impose un silence, non seulement parce que la situation ne pouvait être pire, que je viens de constater qu'on s'est sauvés mutuellement, mais aussi parce que je suis déjà en train de réfléchir à un moyen de nous sortir de ce pétrin. Alors que je commence à marcher frénétiquement en cercle, Justin, lui, s'effondre contre un mur et prend son visage entre ses mains. Dans ma tête, bien que ce soit le foutoir le plus total, je dresse la liste de tous les éléments qui constituent la situation. Je me repasse aussi les dernières vingt-quatre heures en enregistrant chaque détail utile. Tout se mélange... Un brillant mélange puisque très vite, une idée cruciale me pète à la figure aussi vite qu'on allume une ampoule.
- Il faut détourner leur attention, Justin.
Sans attendre sa réponse, je m'active dans le bureau et ouvre tous les placards.
- Qu'est-ce que tu fous ?
- C'est bien le bureau des vigiles, pas vrai ?
Je continue ma frénésie, jusqu'à ce que je trouve ce que je convoite. Justin se lève, intrigué par mon sourire incongru. Si je n'étais pas aussi obsédée par mon plan, je commencerais sérieusement à avoir peur qu'ils parviennent à défoncer la porte vu le vacarme qu'ils font.
- Regarde, c'est le panneau électrique... On peut tout contrôler d'ici...
Justin se penche au-dessus de mon épaule pour observer les nombreux boutons.
- Ce bouton-là sert à mettre en marche le carrousel... Réfléchis, Justin... Si on l'allume, ils vont tous être attirés par le bruit et on pourra déguerpir d'ici.
- Très brillant... mais je te rappelle que le courant est coupé, répond-il d'une voix cynique.
Je me tourne vers lui et plante mes yeux dans les siens.
- Tous les centres commerciaux sont équipés d'un groupe électrogène de secours. Il suffit de l'activer...
- Comment en être sûrs ? Et comment le trouver puisqu'on est bloqués ici ?
- Il y a deux ans, tu te souviens de l'orage qu'il y a eu ? La ville tout entière était plongée dans la pénombre à cause de la coupure de courant. J'étais au Bliss avec Nora... Et je me souviens du personnel qui était monté sur le toit pour activer ce fameux groupe électrogène.
Il ne semble pas percuter tout de suite alors j'en rajoute une couche :
- Si on parvient à monter sur le toit, on est sauvés. On est au dernier étage, on peut peut-être y arriver en passant par la fenêtre.
Rapidement, il la scrute, puis son regard revient sur moi. Si je ne m'abuse, ce dernier a retrouvé son étincelle de malice.
- T'es un génie, Rivers.
Soulagée qu'il approuve, je souris légèrement tout en lâchant un souffle libérateur. Il en fait de même avant de foncer sur la fenêtre pour l'ouvrir. Là, il se penche dehors et lève la tête vers le toit. En haleine, je danse d'un pied à l'autre en surveillant nos arrières.
- Ok, lâche-t-il en se tournant vers moi. Je vais y aller, je peux le faire. Toi tu restes ici.
- Oh non, ne me laisse pas toute seule.
- Emily, commence pas, s'il te plaît. C'est bien trop dangereux. Je sais que je peux y arriver, mais toi tu restes ici !
- Pourquoi ? Laisse-moi monter avec toi, je peux y arriver, je t'assure ! S'il y a une chose que je sache faire à la perfection, c'est grimper.
Max et sa gouttière auront au moins servi à ça...
- Écoute-moi... Lorsque je vais activer ce truc, il y a des chances pour que des lumières s'allument automatiquement... en plus, la musique du carrousel va se mettre à hurler quand on va pousser ce bouton. Tu entends ce silence dehors ? Tu vois à quel point c'est sombre ? Non seulement ça va détourner leur attention, mais ça va en attirer d'autres de l'extérieur... Il faudra qu'on se taille et très vite... Tu comprends ? Alors, non, tu restes ici et tu te tiens prête à courir dès mon retour.
Il a dit ça d'une traite, sans me laisser le temps de reprendre mon souffle et il enjambe la fenêtre sans me donner un droit de réponse. Me voilà seule dans cette minuscule pièce dont la porte est assiégée par une horde de zombies affamés. Heureusement pour moi, mes yeux se sont accoutumés à la pénombre depuis belle lurette. Je reste à l'affut de tout et ne détourne plus mes yeux de cette porte dont le bois vibre sans cesse sous les coups. L'armoire est toujours renversée en travers et je me prépare à la soulever sans faire de bruit. J'ai l'impression d'être un coureur sur le starting-block, attendant le coup de pistolet pour démarrer la course. Ajouté à cela, un sentiment désagréable m'anime... Celui qui fait que je ne me soucie plus seulement de moi-même, mais aussi de ce garçon qui vient de grimper sur le toit. Pourquoi ? Parce que je crains de me retrouver seule ? Je ne crois malheureusement pas à cette théorie... Que je le veuille ou non, Justin m'est familier, on se connaît depuis des années, et dans ce contexte, il est mon seul repère, le seul élément qui me relie à ma vie d'avant. Même si mes rancoeurs sont toujours présentes, elles ne comptent plus. Je ne cesse de penser à mes parents et mon frère, ainsi qu'à toutes les personnes qui me sont chères. Pourtant, aucune larme n'apparaît, je suis bien trop prise par l'instinct de survie. Cet instinct nouveau qui commence à devenir mon quotidien. Et soudain, alors que je tente de trouver un équilibre entre la fille fragile que je croyais être et cette fille combative que je découvre par la contrainte, toutes les lumières se rallument, m'arrachant une énième série de palpitations. La musique se remet à résonner et petit à petit, la porte cesse de vibrer. Je me retourne vers la fenêtre encore ouverte dont le cadre ne montre qu'un rectangle noir... Dehors, dans la nuit, je perçois déjà de lugubres sons plaintifs... Ils approchent.
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Désirs cruels
Short StoryPlongez dans dix petites histoires frissonnantes qui mêlent obscurité et érotisme. Quand les pires situations deviennent des fantasmes... ou des désirs cruels... Oserez-vous succomber ?