Butterfly, partie 4

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Le néant... Je n'imaginais pas le ressentir un jour, du haut de mes dix-sept ans et de ma vie bien rangée... et pourtant... C'était bien cela que je ressentais en trottinant dans ce parking sous terrain plongé dans la pénombre. Le vide... l'incompréhension... la sidération silencieuse. Ma voix, mes cris et mes sanglots demeuraient bloqués dans ma gorge. Nora venait de mourir sous mes yeux... Non... Elle venait de se faire manger sous mes yeux... Ces gens étaient devenus des cannibales... des monstres sans conscience, sans que je ne puisse comprendre ce qui se passait réellement. Alors tout ce qu'on voyait dans les films d'épouvante était vrai ? Je n'osais pas y croire mais le mot « zombis » revenait sans cesse me percuter. Quand il me frappa une énième fois, je trébuchai et tombai lourdement sur mes genoux. Les paumes à plat sur le sol caoutchouteux du parking, je laissai enfin mon émotion me gagner. Plus vite que mes larmes le faisaient, jaillit un flot de vomi brûlant qui éclaboussa ma peau. Après cela, je me mis à pleurer bruyamment en pensant à tout ce qui venait d'arriver et en regardant autour de moi. J'étais seule... dans le noir... Mes yeux commençaient à s'habituer à la pénombre et je remarquai les nombreuses voitures et cadis pleins abandonnés, comme si l'horreur avait pris tout le monde de court. Je tremblais de tous mes membres. L'endroit était silencieux, à une exception près... ou plutôt, deux : mes pleurs incessants et un effroyable son de métal qu'on traine par terre. Il s'arrêtait et reprenait, à un rythme régulier... le même rythme dont Monsieur Janon usait pour se cogner la tête. Je me tus pour écouter. Le constat était sans équivoque : le son se rapprochait. Prise de panique, je rampai à toute vitesse vers les places de parking et roulai sous un 4X4 pour me cacher. Les mains sur ma bouche, j'observai le couloir, tétanisée. Quelqu'un ou quelque chose arrivait vers moi... Je ne le voyais pas, mais je l'entendais. Chaque fois que le son du métal s'arrêtait, je percevais une affreuse respiration sifflante... Et puis d'un coup, il entra dans mon champ de vision... Un homme... ou plutôt, une de ces choses... Elle venait de s'arrêter devant la flaque qu'avait formé mon vomi. Son immobilité me parut perdurer une éternité pendant laquelle je m'efforçais de ne pas faire le moindre bruit. La sueur de mon front roulait maintenant le long de mon nez. Sans crier gare, cette chose tomba à genoux et laissa son visage tomber dans mon vomi. Elle léchait goulument l'infâme fluide en produisant des sons effroyables. La peur me fila à nouveau la nausée et faisait battre mon cœur à un rythme insoutenable. J'étais tentée de détourner le regard pour m'épargner cette horrible vision mais je ne voulais surtout pas quitter cette chose des yeux. Je n'avais pas le droit de baisser ma garde, pas après le sacrifice que Nora avait fait pour moi. Combien pouvait-il y en avoir ? Pourquoi y'en avait-il un ici, alors que cet endroit était supposé être un refuge ? Et comment allais-je m'en sortir ? Seule, sans arme pour me défendre ?

Je continuais à regarder cette chose laper le sol en priant pour qu'elle ne soit pas attirée par l'odeur de vomi sur ma peau. Ses jambes étaient prises dans une espèce de morceau de grille, d'où le son qu'elle produisait en avançant. J'étais mi-tétanisée mi-fascinée, mais je cherchais surtout le moyen de déguerpir sans me faire repérer. C'était impossible. Cet homme transformé en monstre n'était qu'à trois mètres de la voiture sous laquelle j'étais planquée. Au moindre geste de ma part, il aurait tourné la tête vers moi.

Les minutes et les heures passèrent sans qu'il n'arrête de lécher le sol en grognant, alors qu'il n'y avait plus une trace de vomi. Je restais là, à le regarder sans pouvoir bouger. Si lui restait fixé à cet endroit... qu'en était-il du corps de Nora ? Il ne devait rester plus rien de ma meilleure amie... Pendant tout ce temps, je n'arrêtais pas de me refaire le film de cette journée et je ne trouvais aucune explication logique aux événements. Quelques coups de feu s'étaient fait entendre dehors, au loin, me donnant le signe qu'il y avait encore de la vie, mais un constat m'avait poussée dans une profonde névrose : personne ne savait que j'étais ici, et personne n'allait venir me secourir. Je pensais irrémédiablement à mes parents et me demandais s'ils allaient bien et s'ils étaient en sécurité. Le monde entier était-il touché ? L'avenir n'avait jamais été aussi incertain... Si l'armée se mettait à tirer sur nous, qu'allions-nous devenir ? C'était donc la fin du monde ?

Désirs cruelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant