- Ne regarde pas derrière toi, Rivers. Cours... Ne t'arrête pas de courir...
À mesure que je détale comme un lapin, j'écoute attentivement les halètements de Justin pendant que des branches de la forêt viennent me fouetter le visage. J'ignore depuis combien de temps nous courons. Il a fallu sortir du centre commercial et ce fut aisé puisque notre stratégie a fonctionné. Ces choses se sont ruées sur le carrousel, nous offrant une échappatoire non négligeable. En revanche, nos statistiques à propos du reste étaient bien trop modestes. Ce n'est pas quelques individus que nous avons attirés mais une horde effrayante que nous avons évitée de justesse. Dans les rues, nous avons couru comme deux fous, découvrant avec horreur que nous étions probablement les seuls survivants dans cette ville devenue fantôme. Même l'armée a déserté. Tout en mettant de la distance entre nous et ces choses, à travers la forêt qui mène à la frontière canadienne, je repense à leurs visages cadavériques. J'entends encore leurs lamentations quand, de justesse, Justin m'a portée après avoir trébuché à deux mètres d'eux en sautant le grillage. Je les revois se jeter sur les quelques gouttes de sang laissées sur le bitume par mes coudes écorchés. Les mots me manquent... Je ne me sens plus capable d'émettre une réaction à ce propos, je suis dans le flou total. Je me raccroche à l'image de Justin qui galope avec dextérité. Beau, protecteur. L'air me manque.
- Att... Attends... Justin.
Je ralentis, à bout de force, mais Justin me prend la main et me tire pour m'aider à courir.
- Encore un peu, Emily... Courage.
Mes poumons me brûlent. Je regrette d'avoir renié les cours de gym... Justin me traîne si bien, que je pense qu'il court pour deux et sa manière de m'appeler subitement par mon prénom me désarçonne. Entre deux grands chênes, près d'un amas de fougère, je capitule et m'effondre pour de bon. Mon compagnon s'arrête en surveillant les alentours.
- Merci... Tu... Tu m'as encore... sauvé la vie, dis-je à bout de souffle.
Justin ne dit rien. Tel un sportif de haut niveau, il récupère une respiration à peu près normale avant de s'accroupir devant moi, l'air éreinté, non pas à cause de l'effort, mais à cause du deuil. D'un geste totalement sexy, il déchire deux morceaux de son t-shirt et en fait des lambeaux. Puis, avec assurance, il bande mes coudes blessés l'un après l'autre. Je l'observe, circonspecte de le trouver si séduisant. Son visage d'ange a quelque chose de « badass » qui me rend chèvre et sa manière de lever furtivement son regard vers le mien pendant sa tâche me fait oublier le contexte.
- Désormais, on doit non seulement rester sur nos gardes, mais aussi tenter de survivre, déclare-t-il en me regardant droit dans les yeux. Nous devons continuer au nord, jusqu'au Canada. Ça risque de nous prendre plusieurs jours. Montre-moi tes provisions.
Meurtrie et à la fois totalement sur le qui-vive, je ramène mon sac à dos vers moi et l'ouvre devant nous. Justin commence à le vider méticuleusement. Il en sort deux gaufres un peu ratatinées, trois canettes de soda, quelques muffins, de la charcuterie emballée dans de l'aluminium ainsi qu'une grande gourde d'eau. Par chance, nous découvrons un sachet de bœuf séché offert avec l'équipement sportif que j'ai dérobé.
- Ok... ça devrait nous faire tenir facilement trois ou quatre jours si on fait attention, mais il va falloir qu'on trouve rapidement un point d'eau. Mon père et moi on venait camper dans cette forêt. Je crois savoir où passe la rivière.
- Qu'est-ce qu'on va devenir...
Voyant mon air paniqué, Justin cesse de ranger les provisions.
- Hey... On est tous les deux... On s'en sort très bien pour l'instant. On va y arriver.
Il prend une pause pour examiner le ciel à travers les immenses branches qui nous coupent des lueurs de la lune.
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Désirs cruels
Short StoryPlongez dans dix petites histoires frissonnantes qui mêlent obscurité et érotisme. Quand les pires situations deviennent des fantasmes... ou des désirs cruels... Oserez-vous succomber ?