J'ignore ce que je viens de ressentir en reconnaissant ce regard bleu/vert qui m'a jaugé des milliers de fois durant mon existence. Probablement un mélange de peur, d'étonnement, d'une colère habituelle et d'un soulagement qui aurait pu me tirer des larmes. Ces yeux qui bougent incessamment de gauche à droite, comme s'ils cherchaient à scanner mon visage à toute vitesse me font soudainement oublier le contexte... Ce qui me frappe surtout, c'est ce regard rebelle chargé de crainte, dont la petite lueur me présente un concentré de malice et ces lèvres dont les commissures remontent vers le haut en un quart de sourire. Justin Rowark est bien là, affalé sur moi, le souffle court, les sens en alerte. Je peux sentir la dureté de ses abdominaux et la moiteur de son t-shirt contre le mien. Ses coudes sont posés de part et d'autre de ma tête tandis qu'un de ses avant-bras est replié de façon à garder sa main posée sur ma bouche. Ses larges épaules et ses biceps imposants me donnent l'impression d'être dans une cage protectrice.
- Rivers, ne fais pas un bruit et ne bouge plus.
Il a prononcé cette phrase à voix basse et à toute vitesse en détachant chaque mot si bien qu'elle m'a rappelé celle de mon père lorsqu'il tentait de me réveiller alors que je m'endormais sur le canapé du salon. Elle m'a paru provenir de loin malgré sa proximité. Je ne comprends pas pourquoi il m'empêche de bouger. J'ai envie de lui hurler dessus, comme à chaque fois qu'il m'adresse la parole au lycée mais son regard me cloue au sol à lui seul. Je respire par le nez du mieux que je peux et me surprends à admirer ses longues mèches artistiquement coiffées pour donner une impression d'un désordre maîtrisé. Tout le monde à l'école a déjà tenté de l'imiter, en vain. Justin est un modèle original de beauté, difficile à égaler.
- Ne...bouge... pas.
Cette fois je prends sérieusement peur. L'adrénaline dégringole en moi lorsque je vois un groupe de ces choses tituber autour de nous. Putain de merde ! Justin appuie sa main plus fort contre mes lèvres et très lentement, pose son front contre le mien. À plusieurs reprises je tente de bouger la tête pour regarder ou m'enfuir mais il m'en empêche. Je ne peux les voir que du coin de l'œil, passer à côté de nous, comme si nous étions invisibles. J'aimerais replier mes jambes pour me protéger, me mettre en boule mais je ne peux pas. La peur m'électrise comme jamais et mon cœur bat à tout rompre. Seul le souffle brûlant de Justin me démontre que je suis encore vivante. J'ignore combien de temps je passe dans cette posture, ni combien de paires de jambes nous frôlent... assez pour me rendre compte que j'étais loin d'être seule dans ce centre commercial. Quand le bruit et les mouvements se dissipent, Justin lève lentement la tête puis me sonde, comme s'il voulait s'assurer que je vais bien. Il pose son index sur ses lèvres en guise d'avertissement puis libère enfin ma bouche. En se levant, il me tire agilement pour me mettre debout, et m'escorte à l'intérieur du Bliss en surveillant nos arrières. Nous nous accroupissons derrière le bar, tous deux essoufflés par ce qui vient de se passer.
- Ils sont partis... Pour un temps. Ils vont probablement faire le tour de cet étage et repasser, inlassablement. Ça nous laisse vingt minutes.
Je peine à reprendre mes esprits même si j'ai un million de questions. Mon palpitant continue à battre la chamade.
- Comment... C...
- Respire Rivers, se moque-t-il en faisant rouler ses yeux sur mon corps.
Ce petit geste déplacé me fait atterrir sur terre.
- Pourquoi ils ne se sont pas jetés sur nous ?
Justin passe sa langue sur ses lèvres et essuie la moiteur de son front d'un revers de bras. C'est seulement là que je remarque les traces de sang sur son t-shirt. Il a dû en baver lui aussi.
VOUS LISEZ
Désirs cruels
Short StoryPlongez dans dix petites histoires frissonnantes qui mêlent obscurité et érotisme. Quand les pires situations deviennent des fantasmes... ou des désirs cruels... Oserez-vous succomber ?