Chapitre 30 : Je t'attendrai

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Les seuls instants paisibles pour Estelle chaque jour depuis leur mort, c'étaient les premières secondes où, juste après son réveil, quand elle n'avait pas encore ouvert les yeux et qu'elle émergeait de l'inconscience vers le début de la journée, elle ne pensait pas à eux. Rien qu'une journée de plus.

Puis la réalité la rattrapait. Et le coup était violent

Tout se rappelait à elle : le trou énorme dans sa poitrine où leur place laissée vacante par leur mort était insoutenable, la douleur des souvenirs, la douleur plus terrible encore de savoir que plus jamais il n'y en aurai d'autres, et les images, encore et toujours, qui tourbillonnaient dans son esprit à une vitesse telle qu'elle en avait le tournis. Les images de tout ce qu'ils avaient vécu ensemble évidemment, mais aussi les images que, malgré elle, elle s'était imaginée en lisant les journaux et en voyant les informations télévisées sur ce "tueur des 3" et ses techniques de meurtres. 

Et alors, après ces quelques - et seules - secondes de répit, tout redevenait d'une douleur indescriptible. Et la réalité était trop réelle, les ténèbres trop sombres, l'absence trop présente. 

Mais ce matin-là, c'était encore pire pour la jeune pilote. Parce que, ainsi qu'elle s'en souvenait malgré elle à travers quelques bribes de souvenirs flous, elle avait bu la veille. Bien trop bu, d'ailleurs. Et elle le su avant même d'avoir ouvert les paupières : cette journée allait être un jour sans, terriblement sans. Premièrement, parce qu'un concert de rock des plus torrides se jouait actuellement dans son crâne, une jolie gueule de bois telle qu'elle n'en avait pas eu depuis longtemps - rien de très étonnant vu la dose ahurissante et franchement dangereuse d'alcool qu'elle se souvenait sans peine avoir ingurgité, et ce malgré le fait qu'elle n'avait alors rien dans le ventre. Deuxièmement, parce que ce mal de crâne ignoble ne représentait apparemment - et malheureusement - pas une alternative ou une échappatoire à la souffrance quotidienne et habituelle maintenant de la mort de ses deux amis. Et enfin, parce qu'aujourd'hui était le jour de leur enterrement. Il y aurait d'abord une messe en leur honneur en fin de mâtinée, puis l'enterrement en lui-même, avant bien sûr la traditionnelle fête funéraire américaine dans une salle des fêtes de la ville, louée spécialement pour cette occasion par les Martin. La veille, Bradley et Pete avaient d'ailleurs acheté quelques boissons et gourmandises à grignoter pour contribuer un peu et montrer leur soutien à la famille d'Isabelle et Pierre.  

Bref, cette journée promettait vraiment d'être riche en émotions, et pas des plus joyeuses. 

Estelle se redressa en grognant de son mal de tête, malgré son envie plus forte que jamais de rester sous la couette et de ne plus jamais quitter ce lit, ainsi qu'elle l'avait fait quelques jours plus tôt. Mais elle savait qu'il fallait qu'elle se lève et qu'elle affronte cette journée : après tout, plus vite elle serait levée, plus vite elle pourrait repartir se coucher. 

Mais c'était sans compter Bradley. Son petit copain était à côté d'elle sur le lit, par-dessus la couette, parfaitement habillé et coiffé, et regardait la télévision d'un air absent et distrait - il semblait plongé dans ses pensées. Son costume noir lui allait comme un gant, et Estelle le trouva extrêmement beau et élégant dans cette tenue. Mais son expression, elle, était tout de suite moins avenante. Il était en colère. Remonté, même. Son corps entier était tendu, ses poings serrés sur ses genoux et sa mâchoire contractée. Visiblement, il avait attendu avec impatience qu'elle se réveille pour que tous les deux aient cette conversation à laquelle Estelle savait d'ores et déjà qu'elle ne pourrait pas échapper. 

Et pourtant, cela ne l'empêcha pas de se lever du lit, en évitant soigneusement le regard du blond posé sur son dos, pour aller prendre la robe noire qu'elle porterait pour l'enterrement et ses affaires de toilette dans le but de se laver. Elle aurait bien aimé descendre au bar-restaurant de l'hôtel pour prendre un café au rez-de-chaussée, mais elle avait tellement la nausée à l'idée de la journée à venir et de la conversation imminente qu'elle ne pouvait rien avaler. Elle s'enferma donc dans la salle de bain et prit une douche rapide, puis se vêtit, se coiffa et se maquilla. Tout ça en bien moins de temps qu'il ne lui en fallait d'habitude, et ce malgré ses efforts pour retarder l'inévitable - l'appréhension sans doute. Enfin, elle sortit de la salle de bain. Bradley n'était plus sur le lit : il était au téléphone, avec les Martin d'après ce qu'Estelle pu comprendre. Il s'agissait sans doute des derniers détails de la cérémonie funéraire qui aurait lieu après l'enterrement, devina Estelle. 

Fly Me Away [Top Gun]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant