J'en venais à me dire que ça avait peut-être été une mauvaise idée de partir. Je marchais depuis bien trop longtemps dans ce couloir. Des semaines, des mois étaient passés sans que je ne voie jamais la lumière du jour. J'avais perdu toute notion du temps. J'étais fatigué et las du paysage incolore et monotone du tunnel. C'était tellement long que j'en venais à me demander si je pourrais un jour apercevoir l'Asgeit. Peut-être que ce « Choix » était, en fin de compte, un piège à traîtres. Il les emmenait dans un couloir sans fin, dans lequel ils finiraient par devenir fous et mourir de fatigue. Mon hypothèse ne me semblait pas si impossible. J'avais bien conscience d'être l'une de ces pourritures de traîtres, depuis que j'avais fait le choix de partir de ma terre natale. Bien que ce fût pour mon plus grand plaisir.
Le blanc régnait autour de moi depuis le début. Le sol, les murs, le plafond. Il n'y avait même pas de traces. Pourtant, un jour, les couleurs changèrent. Sur quelques mètres, tout était recouvert de couleurs se mélangeant les unes aux autres, créant un passage. Mais à la fin de cet arc-en-ciel, j'aperçus du noir. Je crus d'abord à la fin du couloir, mais je dus marcher encore des semaines, des semaines et encore des semaines. Le paysage avait simplement changé, passant d'un blanc immaculé à un noir sale et poussiéreux. Ce changement de décor n'était simplement que le milieu du tunnel. Avec le temps, j'avais décidé d'appeler cette altération le Miroir et je m'étais dit que, finalement, ce n'était pas le piège à traîtres que je redoutais depuis un temps. Le Miroir m'avait redonné un peu d'espoir.
J'avançais sans regarder devant moi. De toute façon, rien ne m'attendait pour encore bien longtemps. J'étais plus que fatigué de marcher, mais je ne m'autoriserais pas à dormir. Je voulais arriver le plus tôt possible de l'autre côté. J'avais faim et soif depuis des mois. Mais ces besoins ne tuent pas les habitants de notre monde. J'ignorais si c'était une bonne chose. Je subissais, rêvant d'un bon plat chaud et d'une boisson qui me ferait oublier quelques-uns de mes problèmes. La faim et la soif me torturaient. Alors je continuais d'avancer pour que ça s'arrête un jour.
— Quand est-ce que cette foutue marche prendra fin ?
Je râlais sans cesse, dans le vain espoir que quelqu'un me réponde ou me gueule d'arrêter de me plaindre. J'avais conscience d'être seul.
Peut-être pire que la faim, le couloir était trop étroit pour que je puisse déployer mes ailes et voler pour soulager mes jambes, pour aller plus vite.
La tête basse, épuisé, je fermai les yeux.
— Combien de temps encore je vais devoir marcher ?
Mais doucement, je me rendis compte que je n'avançais plus sur le même parterre. Le sol lisse et froid, sous mes pieds nus, était devenu terreux et tiède, presque chaud. Une terre bien plus agréable que celle tassée du tunnel s'étendait de mes pieds à loin devant moi. Je jouais avec mes orteils, creusant sous mon corps, ne me rendant pas encore compte de ce qu'il se passait.
Un cri me sortit de mes pensées. Je levai la tête et, alors que n'importe quel autre Ange serait tout sauf heureux de le comprendre, je sentis un sourire étirer mes lèvres. Je venais d'arriver en Asgeit.
Mes ailes me portèrent dans le ciel envahi de nuages. Un tout autre monde s'offrait à moi. Je me trouvais au-dessus de la banlieue d'une énorme ville entourée d'énormes arbres aux troncs cendrés et aux feuilles telles celles d'automne sur Terre. Au loin se dessinait un énorme château, semblable à une montagne. Ce pays ne ressemblait sous aucun angle à ce que j'imaginais de l'Asgeit, mais il était tout aussi différent de l'Aïkira.
Il faisait nuit. La pleine lune éclairait magnifiquement le paysage et le peu d'habitants encore dehors. Il y avait toutes sortes d'êtres, des Géants, des Nains, des Réincarnés, des Ailés et des Métamorphes. Alors que là d'où je venais, seuls les Réincarnés et les Ailés étaient autorisés à entrer dans la ville centre, les autres espèces étant rejetées de la société, ici, toutes se mélangeaient parfaitement, elles créaient un ensemble, un mélange parfaitement homogène. Je les regardai faire leur vie en bas, émerveillé. Un enfant courait derrière un chien en riant. Une femme lui cria dessus par la fenêtre d'une maison. Puis un homme attrapa l'enfant. Son père, sûrement. Il ramena l'enfant chez lui et appela le chien pour qu'il revienne.
Au bout d'un moment, je commençai à remarquer que de plus en plus de démons me regardaient et me pointaient du doigt. C'était évident, un Ange aux ailes blanches et argentées faisait tache sous un ciel aussi sombre que celui d'une nuit en Asgeit. Je descendis alors des cieux, silencieux comme jamais. Mon cœur battait fort dans ma poitrine. Mes pieds touchaient à peine le sol que les démons m'encerclèrent. C'étaient eux, mes nouveaux alliés. Mais pour eux, je n'étais encore qu'un Ange parmi tant d'autres qui leur pourrissait la vie. Ils étaient encore loin de penser combien j'aurais souhaité être de leur côté depuis tant d'années.
Je me rappelais avoir vu un Démon, enfant. Au contraire des miennes, ses ailes étaient noires et rouges, comme une braise encore chaude. Il m'avait fait peur, bien que ses pouvoirs eussent été limités par les chaînes qui le faisaient prisonnier. Maintenant, c'était loin d'être la même chose. Ils étaient bien plus d'une cinquantaine à me regarder de toutes parts, méfiants, haineux et prêts à me sauter dessus au moindre mouvement de travers que j'oserais faire. Le silence régnait.
Droit devant moi, un chemin s'ouvrait entre les démons pour laisser passer un Ailé jusqu'au premier rang. Il ne s'arrêta pas avec les autres démons, mais juste devant moi, à même pas un mètre. Ce Démon dégageait une aura bien plus forte que celle des autres. Elle me rappelait celle du prisonnier. C'était, sans aucun doute, un guerrier. Les habitants de la ville s'agenouillèrent devant lui lorsqu'ils le reconnurent. Il avait des ailes de la couleur de la braise et un regard étonnant. Ses yeux étaient différents l'un de l'autre. L'un était aussi rouge que le sang et l'autre doré comme l'or. Il portait un pantalon noir simple et une chemise rouge dont il avait retroussé les manches jusqu'aux coudes, laissant apparaître ses avant-bras musclés.
— Toi, me dit-il froidement en donnant un coup de menton dans le vide. Ramène-toi.
Sans perdre de temps, il s'envola vers l'autre bout de la ville, là où se trouvait un château. Je pris quelques secondes de retard avant de le rattraper. Le trajet ne fut pas long, une à deux minutes seulement. On descendait déjà vers l'entrée de la demeure. C'était une immense porte grande ouverte, mais on n'en apercevait pourtant rien de l'intérieur. Elle était gardée par deux soldats qui nous laissèrent passer sans le moindre mot. Le Démon qui m'avait emmené ici ne semblait pas ouvert à la discussion, alors je ne disais rien.
La porte s'ouvrait sur un immense couloir. Le plafond était soutenu par des dizaines de poutres allant à plus de quinze mètres de haut. Des énormes colonnes de flammes placées contre les murs éclairaient le couloir. Il y avait deux portes de chaque côté, moins grandes que la porte d'entrée mais assez pour faire passer un géant. À la fin du couloir, en face de l'Ailé et moi, il y avait une énorme porte noire encadrée par un fin filet d'or. Elle était si imposante que je ne pouvais que l'admirer.
On avança droit devant, vers l'immense porte. L'Ailé ne regardait nulle part. Le regard vide, il se contentait de m'emmener où il en avait l'ordre. Il s'arrêta soudainement devant la porte noire et se retourna vers moi.
Enfin, il se présenta.
— Je suis Tenebris, héritier du trône d'Asgeit. Mon père m'a donné l'ordre de t'amener à lui. Il est dans cette salle. Il y a quelques mois, nous avons pris un otage qui nous a prévenus de ton arrivée. Je ne m'attendais pas à ce que tu n'arrives que maintenant, mais il faut croire que le tunnel est bien plus long qu'un aller-retour sur le champ de bataille, même en comptant les ennemis. À moins que tu aies traîné. Tu es le fils de Candor, c'est ça ?
Je trouvais cette rencontre presque ironique. Dès mon arrivée, je rencontrais déjà mon antonyme, le fils légitime du Roi asgatien, Tenebris.
— Candor n'est que mon géniteur. Pas de quoi me considérer comme son fils.
Il souffla du nez, sans doute un peu amusé. Puis il ouvrit la porte et partit sans un mot. Je me retrouvai seul, devant une porte qui s'ouvrait sur une immense salle plongée dans la lumière bleue qui émanait des flammes de plusieurs bougies réparties sur le sol. Pour seule autre personne que moi ici, droit devant, il y avait le Roi de l'Asgeit.
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Le traître des Anges
ParanormalSur l'ancien territoire de l'Awann, la guerre fait rage. Deux pays se sont formés, abritant les Démons d'un côté, et les Anges de l'autre. À la frontière, les batailles se succèdent jour et nuit, toutes abominables et sans pitié. Elyan, prince aîné...