Chapitre 4: Première ligne

12 2 6
                                    

Je me réveillai tôt le lendemain matin. À travers la fenêtre, je voyais le soleil à peine levé illuminer la ville. Elle semblait un peu plus accueillante que la nuit dernière. Vensis n'était toujours pas venu me chercher. Je m'habillai des vêtements qui reposaient dans l'armoire. C'était une tenue plutôt simple, un pantalon noir large et un haut de la même couleur au col élargi. Je descendis au réfectoire. Les couloirs étaient pratiquement vides, je ne croisai que trois ou quatre démons, qui me dévisagèrent tous. Décidément, j'adorais l'accueil.

Je m'assis au bar, à la même place que la veille. Mais cette fois-ci, personne n'était à côté de moi. Tant mieux, cela m'évitait des problèmes.

— Alors, bien dormi ? demanda Eleed en me servant mon petit-déjeuner.

— Oui, je crois. Même si dormir plus longtemps ne m'aurait pas dérangé.

— Plus longtemps ? s'exclama le Réincarné. Tu as déjà dormi toute la journée d'hier !

Je le regardai, perplexe. Il disait la vérité, mentir là-dessus n'avait rien de très intéressant. Mais avoir dormi autant me paraissait absurde. Je n'avais jamais été un gros dormeur, alors rester couché à ne rêver de rien le temps d'une journée et d'une nuit...

Nous passâmes rapidement à autre chose et parlâmes ensemble en attendant l'arrivée de Vensis. Eleed était un ancien guerrier apprécié de tous, « sûrement grâce à ma cuisine », comme il le disait si bien. D'après ses dires, il était le conseiller principal du Roi et ce serait la raison pour laquelle il n'allait plus au champ de bataille. Un bon élément mis de côté pour garder l'ordre là où l'ordre était encore présent. C'était ce qu'il semblait être.

Le cuisinier venait tout juste de partir servir une table lorsque Vensis posa sa main sur mon épaule. Je tournai la tête vers lui et fit un salut rapide en souriant avant de reprendre une fourchette de mon plat.

— On va y aller, déclara-t-il. Il faut que je t'explique beaucoup de choses et que je teste tes aptitudes avant la fin de la matinée.

Je hochai la tête, finis mon repas en vitesse, puis me levai en faisant un au revoir de la main au Réincarné qui venait de revenir derrière le comptoir. On sortit de la pièce sous les regards méfiants des autres démons et, sans attendre, Vensis débuta ses explications.

— Avant-hier, tu m'avais demandé ce qu'était une faction. Je ne me trompe pas ?

— Euh, non, c'est ça.

— C'est assez simple à comprendre. Les guerriers sont répartis sur les trois différentes factions de notre armée en fonction du moment auquel ils rentrent dans nos rangs. C'est-à-dire le jour suivant leur Choix. Quand la première faction est au combat, la deuxième est à l'entraînement et la troisième au repos. Tu comprends ?

La guerre était si vieille que plus personne ne connaissait encore la raison de son commencement. On ne se battait plus que par honneur, et par haine pour les proches morts avant nous. Avec les millénaires passés à s'entretuer, les camps avaient chacun mis en place des stratégies pour leurs guerriers. Et visiblement, les deux stratégies étaient très différentes l'une de l'autre.

J'acquiesçai, prêt à écouter la suite. Je regardais Vensis me parler. Pourtant, lui ne m'offrait pas un regard. Il examinait les alentours, comme si on allait l'attaquer de nulle part. Il n'y avait pas une seconde où Vensis ne semblait pas sur ses gardes. C'était quelqu'un de méfiant, de ce que j'avais compris avec le peu de temps que j'avais passé à ses côtés. Toujours en alerte, toujours prêt à tuer le premier qui oserait lui sauter dessus.

— En ce moment, c'est la faction deux qui est au champ de bataille. Le changement à lieu dans trois semaines, tu as ce laps de temps pour t'entraîner et gagner un minimum de la confiance des guerriers de ta faction.

Je fis la grimace. C'était une chose simple à dire, mais têtu comme ce peuple était, c'était un peu plus compliqué que cela.

— Bien sûr, quelques-uns te font déjà confiance, tels que Eleed ou moi, continuait le professeur. Je pense que le plus difficile à convaincre de ta fidélité sera Tenebris. Ce garçon a beau être très gentil, c'est une vraie tête de mule. Il n'y a que sa sœur aînée qui arrive à le convaincre rapidement, et encore... pas toujours.

— Tenebris a une sœur ? m'étonnai-je.

Sans que je ne m'en sois rendu compte, on venait d'arriver à l'entrée du château. La porte ouverte et les deux gardes qui la protégeaient, rien n'avait changé par rapport à ma dernière fois, si ce n'est que les gardes n'étaient pas les mêmes. On commença à longer le mur gauche du château quand Vensis me répondit. Il semblait surpris de ma question, sa tête en disait beaucoup sur son désarroi.

— Tu n'as jamais entendu parler des jumeaux royaux ?

Je secouai la tête. Non, jamais. Je n'avais pas été beaucoup informé sur les adversaires de l'Aïkira lorsque j'étais là-bas. J'avais appris à me battre et à gouverner seulement. Les informations confidentielles ne venaient que lorsqu'on rentrait dans l'armée. Vensis me regardait, déconcerté. Il s'attendait à tout, sauf à ça.

— Ce sont les aînés du Roi, Ellis et Errol, les chefs de guerre de la faction deux. Ils sont inséparables et ce sont les seuls que Tenebris écoute vraiment. Surtout Ellis, la sœur. Ah, regarde devant toi.

Alors que je le regardais pour l'écouter, il pointa son doigt vers l'avant. Trois bonnes centaines d'Ailés, de Métamorphes et de Réincarnés s'entraînaient seuls ou à plusieurs sur des espaces énormes dédiés spécifiquement à se battre. On voyait aussi des géants. Oh ! je n'avais jamais vu de géants auparavant ! On entendait les cris, les essoufflements et les coups de là où nous étions. Il faisait encore plus chaud ici qu'à l'intérieur, déjà à cause du nombre qu'ils étaient, mais aussi car la plupart des Anges utilisaient leur magie de feu pour s'entraîner.

Vensis s'arrêta devant la barrière qui entourait l'espace d'entraînement.

— Voici la première plaine d'entraînement. On en a quatre comme celle-ci tout autour du château. Environ deux mille guerriers par plaine à la fois. Pour dix-mille en tout. Tu ne t'entraîneras que dans celle-ci, elle est réservée à la première ligne sur le champ de bataille, ceux qui arrivent en premier dans le carnage.

— Je serai en première ligne ?

Vensis me le confirma d'un signe de la tête et continua. Qu'on vienne me dire en face qu'on veut ma mort à la fin, ce serait plus rapide.

— Dans chaque faction, le chef et son équipe sont toujours en première ligne pour guider les autres. C'est elle qui va le plus loin dans les lignes ennemies, et comme la première ligne a la majeure force d'une faction, on frappe plus fort d'entrée de jeu. Donc, la plupart des gens que tu vois ici sont les meilleurs combattants au corps à corps de la faction trois. Et ce sont ceux que tu vas côtoyer le plus. Alors si tu veux te faire bien voir dans le château, commence par gagner leur confiance à eux.

Il me fit un sourire, pour tenter de me rassurer. Ce n'était pas très réussi mais l'intention y était. Mon attention s'arrêta sur un grand gaillard, un ailé chauve, un grand tatouage sur le bras, torse nu. Il se battait en un contre cinq avec des guerriers qui, face à lui, ne semblaient rien valoir, bien que je reconnus leurs techniques comme plus que valables. Un monstre, on l'aurait sûrement appelé ainsi.

— Siros, me dit Vensis. C'était le chef de faction avant Tenebris.

Je continuai de regarder les combats quelques secondes, m'habituant aux mouvements de chacun, apprenant les habitudes qui revenaient entre eux. Ils avaient tous cette manie de faire deux pas en avant lorsqu'ils en faisaient un en arrière.

— On ne t'a pas demandé dans quel domaine tu étais le plus fort, mais de toute façon, tu n'as pas le choix, ajouta le professeur. Ce matin, tu vas me montrer quels sont tes atouts. Et cet après-midi, ta nouvelle équipe viendra voir de quoi tu es capable. Une petite réunion s'impose.

— De toute façon, je ne pense pas avoir le droit de dire non, conclus-je.

— Exactement.

Vensis reprit sa marche vers la plaine, me laissant là, dépité. Il passa sa main dans ses cheveux, replaçant une mèche blonde derrière son oreille. Mais je ne tardai pas à le rejoindre avant qu'il ne me crie dessus, bien que je doutais que crier fasse partie de ses habitudes. J'étais un peu agacé de la situation mais, dans le fond, ça m'allait. Je tombais bien dans la première ligne. Le corps à corps, armé ou à mains nues, c'était ma spécialité.

Le traître des AngesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant