Chapitre 3: Le réfectoire

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J'ouvris la porte et, alors que j'entendais un grabuge de parole avant d'entrer, là, plus aucun bruit ne se fit entendre. En quelques secondes, ils eurent tous tourné les yeux pour me regarder. Tous les guerriers du réfectoire, tous, les corps épais et musclés, les regards noirs, ces guerriers assoiffés du sang des Anges. La menace qui se présentait à moi était évidente, je n'étais pas le bienvenu. Cela dura une pénible dizaine de secondes avant que le bruit ne revienne petit à petit, me laissant un peu tranquille. Il restait pourtant quelques regards pesants qui me dévisageaient. J'allai m'asseoir au bar qui se présentait en face de la porte et qui prenait une bonne partie du grand mur du fond. Le réfectoire était énorme, il présentait des centaines de tables. Je ne m'étais pas encore assis que le silence reprit de la place, et tous les regards se retournèrent à nouveau vers moi. J'eus presque envie de partir, mais je ne pouvais abandonner maintenant. Quel futur m'attendais si j'abandonnais pour quelques regards ? Soudain, une voix me fit sursauter.

— T'as fait exprès de t'asseoir à côté de moi ou tu n'as pas fait attention ? me demanda la personne à ma gauche.

Même si je n'avais pas encore rencontré beaucoup de monde, je ne me souvenais pas à qui cette voix appartenait. J'étais pourtant sûr de la connaître, mais la fatigue m'empêchait de réfléchir. Je tournai la tête vers l'homme qui m'avait adressé la parole. C'était Tenebris.

— Eh bien non, répondis-je. Je ne t'avais pas remarqué, désolé. Veux-tu que je m'en aille ?

Il arqua un sourcil en me dévisageant. Il examinait avec une certaine attention chacun de mes mouvements depuis le premier regard que nous avions échangé, près du tunnel. Une attention particulière qui définissait toute sa méfiance. Enfin, il se concentra de nouveau sur son plat, sans rien me répondre. Je pris son mutisme pour un non. Ou un « fais comme tu veux », du moins. Un long silence s'installa entre nous alors que le cuisinier me servait un plat de viande et de longues et fines pâtes de blé que je n'avais pas demandé. Mais avec la faim que je ressentais, tout m'allait.

— T'es déjà allé au combat, toi ? tentai-je pour commencer une discussion après quelques bouchées. D'après ce que j'ai compris, tu as même une équipe.

— Ouais, lâcha-t-il. On est quatre. Et puis bien sûr que je suis allé me battre, je te rappelle que c'est la première chose que tu fais après le Choix. Enfin, si tu choisis d'être un guerrier. Ce qui, pour moi, était plus une obligation de mon père. Toi, t'es une exception, c'est tout.

Ses mots étaient secs, ce qui n'aurait donné l'envie à personne de continuer la conversation. Mais têtu comme je l'étais, je ne me privai pas de le faire quand même. Et puis, c'était plus de deux phrases qu'il m'avait répondu, je pouvais bien en profiter.

— Tenebris ?

— Quoi ?

— Je dois faire quoi pour que tu me fasse confiance ? demandai-je.

Il pouffa et me regarda du coin de l'œil. Il ne répondit pas tout de suite, me laissant dans le vague quelques longues secondes. J'eus le temps de reprendre une bouchée de mon plat. Puis il souffla en fermant les yeux. Il les rouvrit un instant plus tard, laissant apparaître les couleurs de ses yeux. Je ne pouvais plus le lâcher du regard, perdu dans le sien. Leur lumière attirait mon attention mais leur froideur me gardait à distance. Il m'expliqua, ignorant le fait que je m'étais perdu en ligne droite dans ses yeux.

— Ma confiance ne t'est pas obligatoire. Si tu nous trahis, je me ferai un honneur de te décapiter sur la place publique. Mais si tu veux vraiment trouver ta place içi, trouve par toi-même un moyen de l'obtenir.

« Charmant », pensai-je.

Tenebris se leva et quitta le réfectoire sous les saluts polis de plusieurs guerriers. Nos accueils étaient vraiment différents. Je mangeais un bout de viande quand le cuisinier, derrière le bar auquel je m'étais assis, m'adressa la parole.

— Tu as la mienne.

Je levai la tête vers lui en le dévisageant. Il rit.

— Je te parle de ma confiance. Le roi te fais confiance, alors moi, c'est pareil. Tu as ma confiance. Il doit y en avoir quelques autres, mais sûrement pas beaucoup.

Je souris.

— C'est déjà un début. Et tu es ?

— Eleed, cuisinier en chef de la faction trois, se présenta-t-il avec un sourire. Enchanté.

— De même. Merci de ta confiance, Eleed.

Il me fixa, remarquant ma perplexité. Son regard me demandait de m'expliquer quant à elle.

— On m'a toujours dit que vous étiez malpolis de ce côté. Alors tu m'as surpris, c'est tout.

— Oh, rit-il. Ce n'est qu'un préjugé comme un autre entre deux pays en guerre.

Il disait cela simplement, ne rendant la conversation que plus facile. Je m'excusai d'avoir été insultant avec ma remarque, mais il semblait n'en avoir rien à faire. On discuta quelques minutes. J'avais plein de questions à lui poser, mais je jugeai que ce n'était pas à lui de me répondre alors je ne dis rien.

Le traître des AngesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant