Prologue

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Enfin, j'allais pouvoir partir d'ici.

Je me tenais là, debout sur une estrade, devant mon père assis sur son trône. Les sourcils froncés, le regard noir, une aura menaçante émanait de lui. Mon frère, debout près de lui, me jugeait avec dégoût. Son peuple : les femmes, les hommes et les enfants, eux qui, il y a encore quelques minutes, m'acclamaient, me regardaient comme si je n'étais maintenant plus qu'un moins que rien. Il avait suffit d'une phrase pour tous les retourner contre moi.

J'avais dix-sept ans, l'âge du Choix. Le jour précédant son anniversaire, que l'on soit un Réincarné, un Métamorphe, un Ailé, ou une toute autre espèce, en Aïkira comme en Asgeit, le Choix faisait partie intégrante des règles de la guerre. C'était même la seule règle, à vrai dire. Grâce à celle-ci, on pouvait décider de changer de camp avant de partir au front pour la première fois. Et, même si cela n'arrivait pratiquement jamais, la règle restait.

Alors j'étais là, devant la foule, à clairement annoncer ma trahison. Car oui, moi, l'aîné du Dieu Roi Candor, roi de l'Aïkira, je haïssais ce pays dans lequel j'avais grandi, tellement que j'avais fait le Choix de partir, de me rendre en Asgeit.

— Mon Choix est fait, annonçai-je.

Mon géniteur me regarda quelques secondes, puis se leva et prit l'attention de ses sujets. Son allure d'empereur toute faite me donnait la gerbe.

— Notre peuple a perdu son descendant du trône, je donne alors cette place à mon deuxième fils. En espérant que lors de son Choix, il ne fasse pas la même erreur que son aîné. Quant à toi, déclara-t-il alors qu'il posait ses yeux sur moi, je ne veux plus jamais te voir. N'attends pas de la pitié de moi car tu es mon sang. Reviens sur ces terres et je te tue. Tu es désormais traître à mon royaume et ennemi des Anges. Va-t-en.

De la pitié d'un père tel que lui ? J'avais envie de rire, tout à coup. Autant attendre de voir un mortel venir ici avant d'être mort. Si je voulais partir, c'était bien à cause de lui plus que quiconque. Il ne voulait plus jamais me voir ? Eh bien, j'aurais voulu ne jamais le rencontrer.

La guerre monopolisait nos pays depuis toujours ici, et je devrais me battre contre un camp un jour. Alors autant me battre contre celui qui m'avait battu pendant douze ans. Voilà ce qui rongeait mes pensées depuis bien des années. Je trouverais peut-être un jour quelqu'un qui me comprendrait ou, qui sait, peut-être jamais. De toute façon, je n'avais qu'une chose à répondre.

— Du même sang, mais pas du même clan.

Le regard vers le ciel, je m'envolai jusqu'au couloir qui me permettrait enfin de sortir de ce pays. Un couloir vieux comme ce monde, mais emprunté seulement une dizaine de fois au cours de tous ces millénaires. Je n'avais jeté aucun regard de regret envers mon ancienne vie. Je ne voulais même pas voir leurs têtes après ce que je venais de clamer. Mon imagination me suffisait amplement.

Après un long moment de vol, j'arrivai dans une grande plaine, loin des dernières habitations de la ville centrale. Un grand tunnel se présentait devant moi. Son sol, son plafond et ses murs étaient blancs comme la neige, sans aucune trace de saleté. Je souris. J'y étais enfin arrivé, à ce moment que j'attendais tant. La route serait longue et sans retour. Mais après tout, pour rien au monde je ne retournerais d'où je viens.

Le traître des AngesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant