J'étais tellement concentré sur mon entraînement que je n'avais pas remarqué les démons qui étaient arrivés et qui me regardaient. Je faisais l'objet d'un beau spectacle, lançant des coups de pieds dans le vide, frappant un adversaire imaginaire tout en esquivant ses attaques.
Ce fut seulement lorsque l'un deux frappa dans ses mains que je me détournai enfin de ma concentration. Le bruit avait résonné dans toute la clairière, apportant l'attention de chacun sur la même personne. Je levai les yeux et fis un tour sur moi-même, observant la scène comme si je venais de me téléporter dans un autre monde. La plaine était vide mais, derrière les barrières qui l'entouraient, une multitude des démons étaient présents. Depuis quand étaient-ils là ? Je devais être ridicule à ne pas l'avoir remarqué plus tôt, leurs regards amusés me le firent sentir.
Je ne comprenais pas vraiment la situation. L'heure de la réunion devait être arrivée, alors pourquoi ne pas attendre sa fin pour venir au lieu d'attendre à l'entrée de la plaine ? Et pourquoi les guerriers des autres plaines étaient-ils présents aussi ? Me faisaient-ils une mauvaise blague ? Ça y ressemblait, du moins.
Comme pour répondre à ma question, la foule créa un couloir juste en face de moi, au seul endroit où une barrière manquait. C'était une ouverture que personne ne semblait utiliser, tous préférant sauter par dessus la balustrade.
Des silhouettes se formèrent à l'entrée de ce couloir improvisé ; l'une d'elles me figea sur place. Je n'imaginais pas qu'une telle chose était possible. Ce qui était sûr, c'était que d'où je venais, ça n'aurait jamais été possible.
Le Roi.
Des cheveux noirs plaqués vers l'arrière, une absence d'ailes dans le dos, des yeux dorés et une présence aussi forte. Ça ne pouvait être que lui. Il marchait jusqu'à moi, entouré des quatre généraux de la faction trois. Tout le monde s'était tu, les guerriers s'agenouillèrent à leur passage. Je fis de même. J'entendis leurs pas s'arrêter à quelques mètres de moi quelques secondes plus tard.
— Relève-toi. Relevez-vous ! demanda le seigneur de sa voix grave.
Je m'exécutai, ainsi que tous les autres après moi. Le Roi me regardait, un sourire aux lèvres, montrant ses canines aiguisées dont il paraissait si fier. Tenebris et ses trois amis montraient un sérieux exemplaire, regardant droit devant eux, attendant leur moment. Tous les démons me regardaient, j'étais une anomalie en face de deux royaux. Le stress me monta à la tête. Mon cœur se serrait. J'avais perdu toute la confiance que j'avais réussi à me donner, je n'étais plus sûr de rien. J'ignorais ce qu'ils allaient me faire. J'ignorais si le sourire de leur Roi était le signe d'un bon présage, ou d'un mauvais.
— J'annonce le début de la réunion, s'exclama Tenebris.
Alors c'était ça, la réunion ? Ce n'était pas un petit comité qui discute pour se rencontrer ? C'était une sorte de spectacle dont j'étais la ridicule pièce maîtresse ?
Je ne comprenais plus rien. Le Roi s'assit sur le sol, comme s'il était tout à fait normal que le plus haut placé d'un pays se fasse plus petit que ses sujets. Mais les autres suivirent, et je me retrouvai finalement seul, debout devant eux. Je ne savais pas quoi faire, alors je restai là, à regarder mon nouveau Roi - ma foi, bien plus respectable que l'ancien - dans les yeux. Il eut un bref rire.
— Voyons, assieds-toi. Ne t'inquiète pas, on ne te fera aucun mal.
Si c'était censé me rassurer, ça m'avait fait l'effet inverse. J'étais seul. Ils étaient dix-mille. Un frisson traversa mon corps des pieds à la tête avant que je ne m'asseye sans dire un mot, droit comme un piquet. J'entendis quelques rires par-ci par-là autour de moi, ce qui eut pour effet de légèrement m'énerver. Mais c'est aussi ça qui réussit à me détendre un minimum. S'ils étaient détendus, c'est parce qu'ils ne s'attendaient pas à ce que je m'échappe. Ou peut-être qu'ils étaient sûrs que je n'y arriverais pas. Mon inquiétude monta en flèche. Je n'avais pas vraiment envie de mourir maintenant.
— Bien, commença le Roi. Tout d'abord, j'aimerais que tu nous racontes deux trois bricoles sur toi. Ce que tu veux, c'est seulement pour savoir à qui on a affaire.
Ah. Seulement ? Très bien. Je fus soudainement plus calme. Je réfléchis quelques secondes à ce que pouvais bien dire. Personne ne disait le moindre mot ou ne faisait le moindre bruit, à se demander si ce n'était pas seulement des bouts de roches taillées pour faire des centaines de faux guerriers. Mais je savais qu'ils étaient tous vrais. Je n'allais pas leur déballer toute ma vie. Déjà qu'elle n'était pas très intéressante et que je n'avais pas envie d'en parler. Mais aussi qu'elle était bien trop longue pour être racontée en une seule fois, devant plusieurs centaines de personnes. Je ne pouvais pas non plus dire des choses trop banales comme mon prénom et mon âge, ils savaient déjà ça sur moi, et ce n'est pas cela qui allait leur montrer « à qui ils ont affaire ». Mes objectifs alors? Puis je me lançai.
— Je suis « simplement » la personne qui a le plus d'envie meurtrière envers le Roi de l'Aïkira qu'est mon géniteur. Je ne pouvais me battre pour quelqu'un qui m'avait fait autant de mal depuis bien trop longtemps contre un pays qui, à moi, ne m'avait rien fait. C'est tout, je pense.
— Et c'est déjà pas mal, fit Justice. Même si j'aimerais bien tout savoir !
— Calme-toi Justy ou, membre de mon équipe ou non, je t'expulse de la réunion, menaça le fils du Roi en grinçant des dents.
Les démons échangèrent un peu sur mon petit discours avant de refaire ce silence de plomb qui me stressait déjà depuis le début de la réunion. Le visage du Roi - toujours souriant - me déstabilisait un peu, surtout qu'il n'arrêtait pas de me fixer dans les yeux. Mais je ne fis rien paraître de mes émotions et gardai un sérieux irréprochable.
— Je t'aime bien, gamin, avoua-t-il avant de lâcher un petit rire d'amusement. Bon...
Il abandonna d'un coup son sourire, ce qui me fit oublier un battement de cœur. Il tourna la tête de gauche à droite pour regarder ses quatre accompagnateurs. Justice avait un sourire sadique collé au visage et me dévisagea pour la énième fois en se levant. Les trois autres suivirent. Asteri remit ses lunettes en place sur son nez et Elpis avait l'air de se disputer avec Tenebris qui, lui, n'avait pas bougé de son sérieux en lui répondant. Justice me fit un signe de tête qui annonçait clairement que je devais me lever aussi, alors je me hâtai. Quand je fus sur mes deux pieds, le Roi termina enfin sa phrase.
— On va juger ta puissance de combat. Tu vas te battre contre eux en un contre un. J'espère que tu as une bonne endurance.
Le Roi prononça ces mots sans laisser paraître la moindre émotion. Il me fit frissonner. Il était vraiment d'un autre niveau. Justice s'avança vers moi en trottinant joyeusement. Elle cria, pour que tout le monde entende.
— Je commence !
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Le traître des Anges
خارق للطبيعةSur l'ancien territoire de l'Awann, la guerre fait rage. Deux pays se sont formés, abritant les Démons d'un côté, et les Anges de l'autre. À la frontière, les batailles se succèdent jour et nuit, toutes abominables et sans pitié. Elyan, prince aîné...