L'attente et le stress font rarement bon ménage. Je piétinai à en creuser des trous dans le couloir alors que je guettai l'amphi. Le cours de Layla aurait dû se terminer depuis déjà cinq minutes. Oui, en détective pathétique, j'étais allé jusqu'à dénicher l'emploi du temps de son cursus. Si elle ne prenait pas peur avant même que j'ouvre la bouche, il s'agirait d'une victoire.
Je réprouvai de recourir à ces méthodes infamantes, mais j'avais passé ces derniers jours à arpenter le Réseau, décortiquer les forums, les brèves, les témoignages... Ceux-ci apparurent bien vite gangrénés par les fidèles d'Ahriman — un courant religieux eschatologique qui estime que l'action des sahir consistant à empêcher le déferlement de l'haiwa et donc, la fin du monde, s'oppose à la volonté divine. Je découvris avec fascination leurs stratégies édifiantes pour ramener les aria-sil égarés dans leur giron, et surtout, les tirer des griffes des sorciers.
Dans ces marécages, la seule source d'information fiable était la page de la Ziggurat, l'organisation d'État pour toutes les affaires relatives aux sahir — encore que celle-ci n'était pas exempte de discours prosélyte. Hélas, en ce qui concernait la mise en relation entre des aria-sil et des sahir, le site invitait à se rendre dans une permanence, une délégation temporaire — pour les villages les plus reculés — ou directement à l'Esagil.
Difficile de ne jamais l'avoir aperçue quand on vivait à Ourane : la zone interdite englobait toute la première colline de la cité. À son sommet, s'érigeait un édifice impressionnant de tours pyramidales et d'imposants piliers gravés de sigils. La Ziggurat ; l'officine quasi sacrée des mages où se jouaient les décisions régissant le monde du visible comme de l'invisible.
L'endroit me dressait la chair de poule dès que je l'apercevais depuis le tramway entre chez moi et l'université. Je n'avais pas le courage de m'y rendre seul, la fleur au fusil. La perspective d'aborder une étudiante inconnue me semblait, en comparaison, bien moins effrayante.
Les portes s'ouvrirent avec fracas et déversèrent une cohue d'élèves excités par la fin des cours. Je me dressai sur la pointe des pieds dans l'espoir de retrouver la silhouette élégante qu'Ashkan m'avait désignée à la cafétéria. Par chance, Layla était difficile à oublier.
Entourée d'un groupe d'amies pouffant et jacassant, elle avançait aussi impériale qu'une reine abeille au cœur de sa ruche. Le moment était très mal choisi, mais j'ignorai quand une autre occasion se représenterait. D'un entrechat, je m'immisçai dans la foule et... trébuchai contre un élève. Je ne dus qu'à des réflexes salvateurs de retrouver l'équilibre dans une petite danse. Je me rétablis à seulement deux centimètres de son chemisier qui sentait bon la lavande, ainsi qu'une odeur particulière ; l'aria.
La procession se stoppa, les rires aussi. Une dizaine de paires d'yeux se rivèrent sur moi dans l'attente d'une explication. Je ne pus que bégayer :
— Je... Hum... Excuse-moi, Layla, est-ce que ce serait possible de... enfin... de parler cinq minutes ?
Les rires reprirent, un cran au-dessus, mes oreilles chauffaient de honte. Je faillis m'excuser et prendre la fuite, aussi brave qu'un mulot devant un chat. D'autant plus lorsqu'une des filles à sa droite s'esclaffa d'un ton perfide :
— Non, mais tu te prends pour qui ? Layla a autre chose à fai...
Une main s'interposa entre moi et le désobligeant clapet. Vue de près, Layla était moins jolie que ce que sa silhouette distante m'avait laissé fantasmer — bien moins jolie que Hasna ! Je réalisai qu'au-delà de sa mise élégante, elle restait une étudiante comme les autres, avec un nez busqué qui marquait son visage, des lèvres fines pincées de perspicacité et un front trop grand qu'une frange dégradée voilait. Son regard, en revanche... Son regard était un piège. Cerné de khôl et d'un brun doré fascinant, il voyait à travers moi comme si l'enveloppe de mon cerveau ne protégeait plus la moindre de mes pensées et intentions.
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La Maison des Chants - T1
FantasyOurane, petite principauté enclavée entre deux puissances militaires, ne doit son salut qu'à la renommée de ses sorciers. Chargés de veiller sur les frontières entre le monde stable et celui du chaos, ils forment une élite respectée à la tête de la...