Chapitre 4-2 : La maison des chants

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J'ignore, avec le recul, si on pouvait appeler cela un coup de foudre : il m'a fasciné autant qu'il m'a révulsé. Une chose est sûre, son passage a laissé une empreinte forte dans ma vie.

Allongé tel un pacha, Hussein portait le même uniforme que son comparse, le col déboutonné et la djellaba négligemment froissée sur son pantalon. Ses cheveux en bataille donnaient l'impression de ne pas avoir croisé un peigne depuis des semaines. J'aurais pu — j'aurais dû — l'ignorer, mais quelque chose dans son rictus, dans sa façon de plisser ses lèvres autour de la pipe de son narguilé, me titillait. Me provoquait. Loin de me confondre en remerciements pour son intervention, je m'agaçais d'être pris ainsi pour une petite chose fragile. Quand bien même il visait juste.

— Je n'ai pas peur. Je sais pourquoi je suis là, et ce n'est pas pour jouer aux cartes, m'entendis-je répondre, moi-même choqué par cet élan d'audace.

Il haussa un sourcil et décolla un instant sa pipe pour laisser échapper un rond de fumée.

— Eh ben, reste pas planté là. Viens boire un coup avec nous.

Une effronterie sauvage émanait de ce type trop confiant et me poussait à relever le défi. Armé de ma part d'omelette, je marchai, plus tendu qu'un soldat en faction, vers sa table, avant de m'installer en face de lui. Le dénommé Rezza nous rejoignit, mais je ne lui prêtai plus attention ; Hussein savait mener une conversation sans temps morts. De mon côté, je me lâchai aussi.

La mélodie de ses mots me changeait en papillon attiré par sa lumière. Je voyais venir le danger qui allait me brûler les ailes et me trouvais incapable d'en dévier. Rezza finit par nous laisser au bout d'un quart d'heure — sous un prétexte oublié depuis — probablement conscient qu'il était de trop.

Hussein en profita pour se rapprocher. De la banquette d'en face, il avait migré sur la mienne et me tendit sa pipe. Une bouffée. Le goût ne me plaisait pas, trop sucré. Je préférais les effluves d'oud que ses mèches folles exhalaient.

— Si je récapitule, t'es donc ici parce que ta copine t'a largué ?

Une marée de honte monta à mes oreilles. Devais-je incriminer l'agacement que me procurait son ton indolent ou mon verre d'arak à moitié vide ? Je regrettai déjà de m'être épanché sur mes déboires avec Hasna, après qu'il se soit confié sur les siens.

Il avait cinq ans de plus que moi et était sorti diplômé de l'académie de l'Esagil il y a deux ans. Sorcier talentueux — selon ses dires — on l'avait recalé aux concours d'admission dans la réserve armée de la Ziggurat au prétexte d'un caractère trop « impétueux » et « fougueux », ce que je n'avais pas de mal à croire. Ainsi, il restait cloîtré au rang de sahir de troisième classe, alors qu'il avait le niveau pour intégrer la deuxième. Ses dires, encore une fois. Son arrogance avait au moins le mérite d'être divertissante. Dans ma position — je n'avais pas la moindre idée d'à quoi correspondaient ces fameuses classes — je me souciais peu de son rang ou de son prestige. Je cherchais seulement quelqu'un avec qui me sentir à l'aise et, bizarrement, Hussein remplissait cet office.

Son franc-parler, lorsqu'il me renvoyait ma rupture en pleine face, était un mal pour un bien. Cela me donnait l'impression d'acter enfin l'évènement, d'y poser un point final.

— C'est ça.

— Et tu sais pourquoi ?

— Pourquoi quoi ?

— Pour quelle raison elle t'a quitté.

Je le dévisageai, yeux écarquillés ronds comme des kaaks. C'était la première fois qu'on me posait la question. Moi-même, je l'évitai, pour la simple raison que...

La Maison des Chants - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant