Chapitre 7 : Ensemble ?

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Ces premiers mois avec Hussein m'évoquaient une prairie de lavande à la venue de l'été : des couleurs raffinées et un parfum entêtant qui me grisaient. Je ne me sentais plus moi-même ; le Nafi sérieux, le nez plongé dans ses études, redécouvrait les joies des premières fois et de l'insouciance. C'était comme dénicher un cadeau oublié dans un placard : ma préférence pour les hommes avait attendu là, sagement, que je la déballe. L'évidence sous mes yeux, je ne pouvais décemment la nier. Si je n'osai pas la claironner devant ma famille ou mes amis de Sidih-Ur, l'Esagil m'offrait un espace de liberté où je pouvais me sentir moi-même.

Bien sûr, les torials qui circulaient de la main de Hussein à la mienne nous rappelaient ce lien intéressé. Cela n'empêcha pas une complicité indéniable de se tisser entre nous.

Il nous arrivait d'ailleurs de nous fréquenter sans transactions : il me payait et oubliait de me prendre de l'aria, ou bien il en prenait et j'oubliais de réclamer mon dû. La deuxième option, le plus souvent. Il venait à Dur-Nabu, le quartier de loisirs à mi-chemin entre Sidih-Ur et l'Esagil, m'accordait un cinéma et s'endormait devant le film ; d'autres fois, c'était à la piscine de Gorsippa, et il s'endormait sur un transat à l'ombre. Hussein dormait beaucoup le jour. La faute à sa trépidante vie nocturne.

Alors, c'est moi qui le rejoignais dans sa tournée des bars dans « l'enceinte sacrée des sahir ». Il n'y avait pas grand-chose de sacré chez Hussein, si ce n'est sa manière d'honorer l'alcool jusqu'à la dernière goutte. J'ai craint, au début, que son côté immature le rende agaçant à la longue, mais Hussein savait se tenir. Il blaguait, beaucoup, puis était à même de répondre avec justesse et précision en cas de virage soudain sur un sujet sérieux. Je redoutais davantage ses fréquentations qui me rappelaient les étudiants de première année de ma fac : bien décidés à profiter de leur jeunesse et à rater leurs examens. À la différence que ses amis sorciers avaient cinq ans de plus et terminé leurs études, pour la plupart.

Rezza, le jeune homme gauche qui m'avait abordé à l'Agora et grâce à qui j'avais rencontré Hussein, était de loin le moins débridé de la bande. Achour et Mouss, deux cousins — bien que je n'ai jamais su déterminer s'il s'agissait d'une plaisanterie ou d'un vrai lien de parenté — virevoltaient plus frénétiques que des atomes échauffés. Samir s'auto-attribuait le rôle du rigolo et débitait les blagues plus vite qu'un présentateur télé. Elessi, sa copine et seule fille du groupe, se faisait mal à la main à force de le rabrouer.

De temps en temps, ils avaient besoin d'aria. Par acquit de conscience, j'avais demandé à Hussein si cela le dérangeait — pas question de coucher avec eux, quoiqu'en dise Hussein ce genre de transaction n'a pas besoin d'être sexuelle. Il m'avait répliqué avec ce sempiternel sourire dont il a le secret :

— Tant que ce sont des amis, cela ne me dérange pas de partager.

Partager... Voulait-il insinuer qu'il y avait quelque chose de spécial entre nous ? Quelque chose de plus ?

Je n'arrivais pas à placer le curseur.

Il fallait bien quelques nuages pour voiler de temps en temps ce soleil trop éclatant : Hussein battait sans cesse le chaud et le froid. Quelques fois, il m'appelait pour me dire que je lui manquais terriblement. D'autres fois, il ne me répondait pas à mes messages une semaine durant et me traitait avec la politesse convenue à un ex-camarade de promo. Je savais aussi qu'il voyait parfois d'autres aria-sil, ou d'autres personnes tout court. J'ai vite compris qu'il supportait rarement d'occuper seul son grand lit. Alors, j'ai appris à refouler cette jalousie qui m'irritait. Je ne cherchais pas à mettre des mots sur ce que nous vivions. Échange de bons procédés, c'était tout.

Cependant, d'autres me confrontaient à ces questions.

Trois mois après ma rencontre avec Hussein, ma vie avait pris un nouveau tournant. Grâce au petit pécule amassé chez les sahir, j'avais démissionné de mon travail à la supérette et dit adieu sans remords au gérant qui se gavait de la précarité étudiante. Surtout, j'avais emménagé dans un studio à deux pas de celui de Hasna. Mon amitié avec elle s'était réchauffée, à l'image d'une dune découvrant d'anciens trésors après une rude tempête.

La Maison des Chants - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant