Chapitre 5 : Loin des maux

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Layla rit bien de moi lorsqu'elle m'obligea à raconter mes déboires de la soirée, « alors comme ça, t'es à voile et à vapeur ? » s'esclaffa-t-elle. Elle cessa quand elle me vit me décomposer. Non, bien sûr que non, je n'avais jamais songé que les hommes pouvaient m'intéresser. D'un autre côté, je ne m'étais jamais vraiment intéressé aux filles non plus. J'avais Hasna, cela me suffisait, et désormais je me demandai si je l'avais déjà aimée autrement que comme une amie, je commençai à accepter qu'elle ait pu être visionnaire et remarquer ces détails qui m'échappaient complètement. Pouvait-on passer vingt ans sans avoir ressenti une attirance sexuelle pour quiconque ?

Layla haussa les épaules.

— Et pourquoi pas ?

Elle était venue d'elle-même à la pause déjeuner, alors que je mordais dans un sandwich sans conviction. Ashkan avait cours, je n'avais pas osé demander à Hasna ce qu'elle faisait, je me retrouvais donc à la merci de l'une des filles les plus courtisées de la fac. Une haie de regards exorbités l'avait cueillie quand elle s'était arrêtée devant moi et avait croqué un bout de mon repas. Elle diagnostiquait mes problèmes entre deux mastications :

— Dans notre cas, c'est encore différent : l'aria attise les pulsions. Beaucoup de catalyseurs ne sont capables d'avoir des relations qu'avec des sahir.

Je me sentis blanchir alors qu'elle scellait mon sort avec de simples mots. Pour quelqu'un qui avait voulu se tenir à l'écart de la magie, mon premier contact avec cette fichue élite n'augurait rien de rassurant.

Je crevais d'envie de revoir Hussein, et l'idée me terrifiait à la fois. Comme lors de mon arrivée à la capitale, je plongeais dans le bain de l'inconnu, à la différence que cela n'impliquait pas mon intégrité physique. Et que nous étions deux pour affronter le changement. Désormais, j'avais Layla, mais à quel point pouvais-je compter sur elle ?

— Tu penses que ce type d'hier soir est fiable ? Tu as eu des échos sur lui ? m'enquerrai-je en me penchant sur elle dans une parodie de confidence.

— Non, j'aurais pu t'avoir des recommandations pour des sahir fiables, mais puisqu'il a fallu que tu partes en vrille... Avec tout ça, je n'ai même pas eu ma commission.

Elle leva les yeux au ciel, puis les ramena sur mon regard noir. Elle dut éprouver une pointe de culpabilité — de rien du tout —, car elle croisa les bras et se dandina sur place.

— Je peux me renseigner auprès de Kader, soupira-t-elle. Si ça peut te rassurer, les sahir problématiques se font remarquer. Si c'est le cas de ton homme, on le saura vite. Te retourne pas, mais il y a un couple qui nous mate avec insistance.

Je me retournai. Un peu plus loin, entre les jardinets de plantes grasses et le cactus ventru que tout Sidih-Ur appelait Mahmet pour une raison oubliée, Ashkan et Hasna nous observaient. Ashkan était sans conteste perplexe. J'évitai le regard de Hasna.

Est-ce que Layla, dans sa perspicacité qui n'était plus à prouver, devina la relation — ou l'absence de relation — entre moi et cette jeune fille voilée ? Aucune idée, mais elle réagit comme tel. Elle me rendit mon sandwich, épousseta son jean et se leva. Ses cheveux ruisselèrent en cascade chaotique. Elle faillit occasionner une chute de tension à Ashkan quand elle dégagea sa nuque pour les attacher en chignon grossier.

— Je ne vais pas m'attarder, déclara-t-elle. Les gens vont finir par croire qu'on sort ensemble.

Aussitôt dit, aussitôt fait ; elle libéra mon champ de vision. Je ne pus, cette fois, échapper aux questions muettes accrochées sur le visage de Hasna. Je m'en détournai, mort de trouille.

— Je t'accompagne, m'écriai-je en trottant derrière Layla.

Si elle redressa un sourcil inquisiteur, elle n'émit cependant pas de réprobation et nous passâmes dans les allées ensoleillées pour rejoindre le hall de physique. Je fermai les yeux à cause des reflets éblouissants des graviers blancs de Sidih-Ur. Le trouble de Hasna ne me lâchait pas.

La Maison des Chants - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant