Chapitre 3 : Rivalités flétries

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Je n'imaginais pas me réjouir de retrouver la morsure cuisante du soleil. Pourtant, après ces deux heures d'épouvante souterraine, je faillis pleurer de soulagement en respirant un air absous de toutes vicissitudes.

La cellule de Veille de la Ziggurat avait envoyé ces trois émissaires après que la « petite anomalie » ait évolué en « faille à risques ». Quand je m'étais étonné — à juste titre — de les voir surgir de nulle part en un clin d'œil, alors qu'il nous avait fallu une matinée de route pour parvenir à cette oasis reculée, Golshifteh m'expliqua les portails. Un mode de transport très pratique et très rapide, hélas interdit.

— Ça consiste à plier la trame du monde. Sauf que ça la fragilise. En gros, celui qui essayerait de voyager, sans prendre toutes les précautions et sans posséder une parfaite maîtrise du procédé, risquerait de provoquer une déchirure avec l'haiwa. Un peu contre-productif, tu en conviendras. De ce fait, c'est réservé à la petite élite de la Ziggurat et utilisé uniquement en cas d'urgence. Sans compter que c'est extrêmement coûteux et que cela engendre de fortes perturbations dans le flux magique.

Je comprenais mieux le mécontentement de Zineb qui imputait à ce vortex la perte de contrôle sur sa prise.

— Donc, ils ont estimé avoir affaire à une urgence ?

— Tu parles, ils ont surtout joué les cowboys, si tu veux mon avis.

Golshifteh tira une moue de dédain et s'en alla empiler les caisses dans le bus pour le retour.

Les sahir de la Ziggurat avaient fait le ménage en bas, promptement et cliniquement, ruinant tous les efforts de collecte de notre équipe. L'heure était au procès officieux. Devant l'entrée du qanat, cela faisait bien dix minutes que l'homme pourfendeur de mas passait un savon à Zineb.

— Collecter des artefacts de l'outre-monde est formellement interdit, l'énergie de l'haiwa attire les mas dans notre dimension. Vous le savez pertinemment, Benhassem.

— Ne me prenez pas de haut. Vous n'étiez pas né quand j'ai commencé à étudier l'haiwa. Je sais confiner un artefact de façon hermétique. Par contre, vous, vous êtes si formaté que vous êtes incapables de faire preuve de bon sens !

— Du bon sens ? En mettant en danger des membres de votre expédition ?

Les enfants nomades, probablement déjà lassés d'observer les disputes stériles des gens en noir, recommencèrent à jouer dans un grand vacarme. Je perdis le reste de la discussion. Hussein se glissa dans mon dos. Mon aria et la magie de soin d'Idriss l'avaient requinqué après son vol plané.

Une grimace contrariait ses traits nonchalants. Je la devinai destinée à ce type qui rabrouait Zineb, et à qui je devais la vie.

— C'est qui ?

L'homme avait défait son chèche. À la lumière du jour, sa peau moins foncée que la moyenne et ses traits rugueux réveillait des souvenirs désagréables en moi. Ceux des commerçants assyriens qui marquaient une escale dans notre village. Arrogants et détestables, comme ce sahir.

Pourtant, je ne pouvais lui nier un certain charme. Une harmonie insolite transformait son visage pincé en toile de maître. La ligne de son nez était d'une droiture impeccable tandis qu'une barbe taillée au millimètre soulignait les contours d'une mâchoire prononcée et de pommettes saillantes. Ses yeux en amande s'élargissaient en deux fentes sinueuses, sournoises. Ils disparaissaient sous un froncement de sourcils épais et dans une orbite qui paraissait noire sur sa carnation claire. Quant à ses cheveux, il les portait plus long que Hussein, et mieux coiffés. Il les ramenait à l'arrière de son crâne en un demi-chignon élégant.

La Maison des Chants - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant