Puisque je me figurais Farouk comme l'exact opposé de Hussein, je m'attendais à un habitat aux antipodes. Alors que mon ami bardait son appartement de technologies dernier cri pour combler son déficit sentimental, celui du sahir de la Ziggurat devait refléter son austérité et sa sobriété. Gagné. Ces trois chaises qui se battaient en duel dans le salon m'évoquaient une nature morte aux couleurs affadies.
Farouk ignora ma moue dubitative et délaissa son chèche sur un dossier, puis m'invita à m'asseoir quelque part. Je n'avais pas l'embarras du choix, alors je posai mes fesses sur un rebord de canapé si élimé qu'on n'en devinait plus la couleur d'origine. Mon hôte opta pour une chaise en osier que même mon père aurait laissé dans la rue. Elle expira un craquement moribond quand il s'assit.
— J'ai besoin que tu me dises si tu as ressenti une douleur ou une gêne inhabituelle, peut-être une démangeaison sur ton corps ? Cela peut m'aider à localiser où cette énergie noire s'est logée...
Derrière lui, le mur blanc n'était plus tout à fait blanc. N'était-ce pas une fissure qui courait de haut en bas ? Et dans le coin, une trace d'humidité ?
— Nafi, tu m'écoutes ?
— Oui, oui, pardon...
Mon inspection des lieux avait apporté une accalmie à l'attraction dévorante qu'il exerçait sur moi. Répit qui ne saurait durer. Mon regard retournait inéluctablement vers lui. Il était beau, certes, aussi beau que ces mannequins qui défilaient en tirant la tronche sur les podiums. Beau et si peu invitant. Comment pouvait-il avoir l'air à ce point fermé alors que nous crevions de nous jeter l'un sur l'autre ?
— Et donc ? Veux-tu bien répondre à ma question ?
J'avais complètement oublié sa question.
— Tu sais... Ne le prends pas mal, mais... J'imaginais qu'en tant que membre de la Ziggurat, tu aurais été un peu mieux... loti.
Il leva les yeux au ciel — ou plutôt vers le lambris de l'étage en mezzanine qui n'avait jamais dû être verni — et poussa un soupir agacé. Néanmoins, il agita sa main et le décor se métamorphosa sous mes yeux ébahis. Adieu lambris vieillot, bonjour lattes si brillantes qu'on y verrait son reflet ; le canapé fatigué s'allongea et devint lit aussi gigantesque que moelleux ; même la chaise de paille se transforma en un fauteuil côtelé dans les tons écrevisse. Surtout, la pièce se para de myriades d'ampoules de tailles et de formes variées, aux halos chauds et colorés. Enfin, des paravents surgirent pour ménager un coin plus douillet.
— Ça va mieux comme ça ? demanda Farouk avec une pincée de sarcasme.
— Je n'imaginais pas que tu serais du genre à jeter la magie par les fenêtres.
Hussein aurait totalement agi ainsi... Le destin était bien cruel de m'avoir imposé Farouk à sa place.
À peine eus-je formulé cette pensée que le sahir jaillit de son fauteuil pour se rapprocher de moi. Je reculai et tombai accoudé sur le lit illusionné à mesure que Farouk avançait comme un prédateur. Un prédateur contrarié.
— Je ne suis pas Hussein. Je ne suis ni drôle, ni sympathique, ni sociable, ni charmant. Cet homme-là, je t'ai proposé de retourner le voir. C'est toi qui as insisté pour que je m'occupe de toi. Maintenant, si tu as changé d'avis, je ne te retiens pas.
Ses propos acides recelaient une amertume évidente. Pourtant, c'est un autre détail qui ricocha dans mon cerveau. Je déglutis alors que je compris enfin.
— Tu lis dans mes pensées ? m'offusquai-je.
— Oui.
Pas une once de culpabilité sur ses traits antipathiques.
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La Maison des Chants - T1
FantasyOurane, petite principauté enclavée entre deux puissances militaires, ne doit son salut qu'à la renommée de ses sorciers. Chargés de veiller sur les frontières entre le monde stable et celui du chaos, ils forment une élite respectée à la tête de la...