Je me vêtis en vitesse et rattrapai le trio campé dans le petit jardinet, baigné dans le soleil d'une matinée avancée. Des traquets chantaient sur les auvents végétalisés qui bordaient la rue. À force de me faufiler chez les sahir de nuit, j'avais oublié la quiétude que dégageait l'Esagil de jour, surtout dans ces quartiers hauts et moins festifs.
Dans l'éprouvante ascension vers la Ziggurat de ce que je finirais par appeler « les escaliers de la mort », Lamia me fit oublier l'effort en me parlant de ses activités. Pas celles qu'elle accomplissait pour les sahir, plutôt son travail de bénévole dans une association d'aide aux migrants assyriens. Elle donnait des cours de gyssien ou apportait un soutien émotionnel aux aria-sil qui avaient fui le régime dans des conditions parfois traumatisantes. Elle racontait pourtant ses anecdotes avec humour et bienveillance. Je n'osai pas lui demander ce qui l'avait poussée à s'engager dans cette cause humanitaire, craignant de toucher une limite personnelle.
Ses paroles captivantes détournèrent mon attention des alentours, et je ne réalisai notre arrivée que lorsque la colossale tour pyramidale me sauta à la figure. Sous les projecteurs du soleil, les pierres calcaires brillaient d'un blanc douloureux pour les yeux et les boteh aux reflets dorés devenaient aveuglants.
Une fois à l'intérieur, cette impression de saturation atteignit son paroxysme. Mes oreilles bourdonnèrent du vacarme des allées et venues, réverbéré dans l'immensité du hall central. Je décrétai que je préférais la Ziggurat de nuit.
Farouk, Jarir et Lamia foncèrent sans m'attendre, à l'aise dans cette marée humaine comme des poissons dans l'eau. Nous ne passâmes pas sur les passerelles de l'étage, cette fois, ni par le magnifique cristal : Farouk nous conduisait tout droit vers les bureaux de la cellule de Veille. Alors que j'essayais de repérer le chemin, le nez en l'air, j'aperçus trop tard les prémices du drame.
Devant les locaux attendait un groupe. Un groupe familier, car je reconnaissais Zineb, hiératique dans sa longue tunique bleu marine et un air grave peint sur ses traits sévères. Plusieurs autres sahir, côtoyés à Tessir-Sabyl, l'accompagnaient. Hussein compris.
— Cheikh Bekrit, tonna la chercheuse, nous devons nous entretenir. Nous avons fait les analyses des séquençages des ruptures récentes que vous avez fait parvenir à notre laboratoire...
— Et je vous en remercie, Benhassem, mais nous n'avions pas rendez-vous. Envoyez les résultats à Hakim ou El-Meghit, comme d'habitude.
De toutes les personnes que j'aurais imaginé croiser, Hussein avait été le dernier sur ma liste. Il ne m'avait pas parlé de cette visite, hier soir, et évitait de poser les pieds à la Ziggurat quand il n'y était pas convoqué.
— C'est ce que nous avons fait. Seulement pour pouvoir vérifier nos résultats et la nature des changements qu'ils démontrent depuis plusieurs semaines, nous avons besoin d'échantillons matériels. Or, Hakim nous a opposé un refus injustifié malgré le rapport accablant que nous avons transmis.
Une expression indéchiffrable déchirait les traits de Hussein. Quelque chose entre le choc, la colère et la peine. Non, de l'incompréhension plutôt. De l'incompréhension face à ma trahison.
— Vous me parlez d'un rapport que je n'ai pas lu, rétorqua Farouk. Je demanderai à Hakim de me le transférer, néanmoins, j'ai toute confiance en son jugement. S'il vous a déjà dit non...
— Cheikh Bekrit, je connais votre souci précautionneux de préserver la barrière. Si je me permets d'insister, c'est parce que nos résultats démontrent un danger imminent. Les perturbations de l'haiwa pourraient s'aggraver au point de causer une rupture irrémédiable. Aujourd'hui, une nouvelle faille s'est ouverte près de Dirhaleh, je sais qu'une équipe est déjà sur le coup, mais si vous nous laissiez utiliser un vortex, à moi et mes collègues, pour aller collecter des matériaux, nous aurions enfin la preuve formelle que quelque chose trouble sévèrement l'haiwa en ce moment.
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La Maison des Chants - T1
FantasyOurane, petite principauté enclavée entre deux puissances militaires, ne doit son salut qu'à la renommée de ses sorciers. Chargés de veiller sur les frontières entre le monde stable et celui du chaos, ils forment une élite respectée à la tête de la...