Chapitre 9 : Ce qu'il advient

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Pendant un court moment, je me suis cru tiré d'affaire.

Après la piscine, nous avions continué à nager dans le bonheur avec Hussein. Au cinéma, devant une chicha, chez lui... Qu'importe le contexte, nous savourions toujours l'instant. Il avait même demandé à m'accompagner la prochaine fois que je rentrerais chez mes parents. La proposition m'avait plus excité qu'une sauterelle devant des récoltes et, dans le même temps, fichu la trouille. J'ignorais ce que mes parents savaient de mon degré d'investissement auprès des sahir. Je n'avais aucune envie de leur annoncer que je fréquentais un homme. Les prochaines vacances étaient dans trois mois. J'aurais le temps d'anticiper ce problème.

Hormis cela, tout allait pour le mieux et j'étais même presque guilleret alors que je planchais chez moi sur un devoir de cartographie. Je ne fis pas attention au numéro quand le téléphone sonna. Il n'y avait pas de nom. C'était probablement Hussein qui avait encore oublié le sien quelque part et empruntait celui de ses amis. Vu l'heure, je m'attendais à entendre sa voix pâteuse d'ivresse.

— Bonsoir. Nafi ?

Ce n'était clairement pas Hussein.

D'une pulsion, je fus tenté de raccrocher. Au lieu de ça, mes mains tétanisées jonglèrent avec le téléphone et il s'échoua sur le plancher. L'idée de le laisser là me traversa l'esprit, mais des « allô » fusaient du haut-parleur et je pris en pitié mon interlocuteur.

— Oui, c'est qui ? bredouillai-je dans l'appareil, à quatre pattes sous mon bureau.

Un long soupir déçu me répondit.

— C'est Farouk. Ne fais pas semblant de ne pas m'avoir reconnu.

Bien sûr que je l'avais reconnu. Même sans me rappeler son timbre, son ton pincé avait offert un indice suffisant.

Je n'avais eu aucune nouvelle de lui depuis notre « dérapage ». Même si mes pensées s'étaient parfois égarées dans un souvenir de ses yeux noirs, cela n'avait pas été aussi obsédant que durant mes vacances. J'avais prié pour qu'il en soit de même de son côté et que nous en restions là. Hélas, à présent que j'entendais sa voix, le tiroir des besoins refoulés débordait.

— Que puis-je faire pour toi, Farouk ?

Je le sentis perdre contenance. Il n'avait pas autant de bagou que Hussein et semblait mourir d'embarras à l'autre bout du fil. Un rictus sadique — qu'il ne pouvait heureusement pas voir — ourla mes lèvres. C'était une maigre consolation que de savoir que cette situation lui était tout aussi inconfortable.

En bon pragmatique, Farouk opta pour la manière directe.

— Veux-tu venir chez moi ?

Les fesses sur la moquette, le dos contre le bureau, je fermai les yeux et contint un soupir de dépit. Je l'imaginais ronger son os depuis une semaine, guetter les appels et les messages, car — j'en suis certain — le demander lui-même avait dû coûter à sa fierté.

— Je suis en train de travailler.

— Pas maintenant. Peut-être... demain ? Ou après-demain.

Un de mes doigts s'égara dans mes boucles et joua avec. Un palliatif médiocre à ma nervosité.

— Je suis pas sûr que...

— Si c'est ma maison qui te rebute, on peut aller ailleurs. Ça peut même être chez toi, si tu préfères.

Alors qu'il déballait ses options, les flashs de cet après-midi dans son salon maquillé me revenaient : le spectacle de sa silhouette baignée de lumière avant qu'il ne fasse griller toutes les ampoules, le toucher doucereux de sa barbe, son odeur enfiévrée et surtout, cet orgasme si intense qu'il avait court-circuité tout mon système nerveux. S'il n'y avait pas eu Hussein, j'aurais sauté sur l'occasion. Peu m'importait qu'il ait un balai dans le cul ; il baisait divinement bien.

La Maison des Chants - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant