Chapitre 2-2 : Les rêves de Zineb

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J'avançai confiant dans les longs boyaux descendants, guidé par le jaspe qui pointait tout droit. Nous nous éloignions du groupe, l'agitation des instrumentalistes céda à un calme troublant. Sur la paroi du tunnel, les veines de cobalt se firent moins brillantes, plus poisseuses. On aurait dit des larmes.

— Du lichen d'outre-monde ! Tiens-moi ça, il faut que j'en prélève un morceau.

Je me retrouvai les bras chargés de sa tablette, en plus du gyroscope. Hussein dégaina un scalpel et un tube, puis se mit à gratter la roche avec avidité. Mon assurance s'étiola, rongée par l'attente. Je dansais d'un pied sur l'autre, guettant un signe. Qui eût tôt fait d'arriver.

Le cristal s'emballa, je le vis vibrer, tourner, vif et erratique comme un oiseau paniqué.

— Hussein...

— Deux secondes !

Nerveux, mes yeux scrutaient la pénombre, et les découvrirent dans le halo. Des larves, dix fois plus grosses qu'une chenille commune, leurs corps bubonneux d'un blanc laiteux se souillaient sur le sol boueux. Et se tortillaient jusqu'à mon ami.

— Hussein !

Cette fois, il fit volte-face. Sa main tendue propulsa une onde de choc magique qui paralysa la reptation macabre. Ces horreurs figées comme des statues, j'eus tout le loisir d'observer l'immonde bec qui leur servait de bouche excrétant une salive nacrée.

— C-c'est quoi ces trucs ?

Je tremblai, la fraîcheur s'infiltrait de nouveau sous mes étoffes. Hussein revint vers moi et passa un bras protecteur autour de mes épaules. Aucune chaleur à dispenser ; à nouveau, il me ponctionnait de l'aria et le froid s'accentua.

— Des mas, constata-t-il sans surprise, mais sans sa nonchalance habituelle.

Son visage trahissait une réflexion complexe, à peu près autant que l'usine à gaz que devenait cette « mission de routine ».

— Zineb ?

Son cri se répercuta en écho sinistre dans la grotte. Sans réponse. Nous étions descendus trop loin.

— Je vais utiliser notre Constellation pour lui envoyer un message.

Il rangea son tube de prélèvement dans sa sacoche, puis ses doigts pincèrent l'air. Je crus discerner un fil doré troublant le voile sombre, il le porta à sa bouche et le saisit entre ses lèvres. Le processus dura à peine quelques secondes et j'aurais sans doute questionné son étrangeté si une angoisse lancinante ne rongeait pas mes entrailles.

— Elle arrive, annonça-t-il comme il aurait commandé une pita.

— On ne peut pas retourner sur nos pas plus tôt ?

— Non, le sort ne tiendra pas si je m'éloigne et Zineb m'en voudra d'avoir laissé échapper des sujets d'étude.

Des sujets d'étude ? Il considérait ces choses comme des expériences ? De l'énergie obscure et du xéno-lichen, passent encore, mais des mas ? Je ne connaissais ces créatures que de réputation, je n'en avais jamais croisées, cependant, la vue de leur corps flasque et difforme ne me donnait pas envie de les côtoyer.

Alors que j'hésitai à lui faire part de mes réserves, un sifflement rauque rebondit sur les parois et se faufila jusqu'à nous. Un bruit sans rapport avec l'arrivée de la cavalerie. Le feu follet de Hussein s'agita, virevolta et éclaira une silhouette tapie dans l'ombre.

Plus question de chenille, cette fois. Son corps glabre ressemblait à celui d'un insecte, une mante religieuse qui aurait muté, muté et encore muté au point d'atteindre la taille de deux hommes. Une gueule de crocs acérés longue comme un bras répandait une bave immonde dans le halo bleuté. Ce n'était pas la seule bouche, d'autres s'ouvrirent dans un festival de sourires macabres. La créature replia ses pattes, prête à bondir.

La Maison des Chants - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant