Dᴀʀᴋ Bʟᴏᴏᴅ ¹ | 𝗘𝗡𝗛𝗬𝗣𝗘𝗡

Chapitre 5

La nuit était fraîche et parfaite pour les deux jeunes hommes. L'un avait à peine la vingtaine et l'autre seize maigres années, mais ils étaient les meilleurs amis du monde, comme deux frères que rien ni personne ne pourrait venir séparer. Ils partageaient tout, des emmerdes aux bons moments en passant par les maladies et les crises. Il fallait dire qu'ils n'étaient pas très aisés et, s'étant rencontrés à l'orphelinat puis ayant toujours vécu ensemble, ils ne pouvaient pas se séparer. Si l'un tombait, l'autre coulerait avec lui quoi qu'il se passerait. Ce lien, cette connexion qui régnait entre eux était inébranlable. Il suffisait d'un seul regard jeté à ces deux-là pour comprendre à quel point ils s'aimaient et étaient inséparables. Ils étaient un peu les parents que chacun n'avait jamais eus. Le plus vieux, venant d'Australie, avait passé plus de temps tout seul dans l'orphelinat. Il avait appris le coréen par ses propres moyens, et il se débrouillait très bien. Les adultes le félicitaient tout le temps, mais il ne voulait plus jamais repenser à cette sombre période qu'il avait toujours du mal à affronter. Il préférait se morfondre sur lui-même et se dire que rien ne s'était passé. Et cette bouffée d'air lui était parvenue avec l'arrivée d'un petit nouveau provenant tout droit du Japon. Il trouvait ça extraordinaire étant enfant, il aurait voulu visiter le Japon. Et Ni-Ki lui avait promis de voyager dans son pays natal un jour. Qui aurait cru qu'ils se retrouveraient dans un pétrin pareil ?

Ils s'étaient toujours entraidés, le japonais avait appris le coréen de par son ami Jake et lui avait enseigné en retour sa langue si précieuse dont il était si fier. Dès leur triste enfance, ils étaient destinés à se rencontrer et devenir deux personnes très proches. Tant dans le bien que dans le mal. Et la balance penchait plus vers le premier point que vers l'autre. C'étaient deux bonnes personnes, il ne fallait pas en douter un seul instant ; seulement, ils se battaient pour vivre, et visaient toujours plus haut alors que ce n'était pas nécessaire. Ils se retrouvaient donc là, devant la banque nationale, la plus importante de Corée. Peu de gens avaient déjà osé s'aventurer ici en tentant d'y dérober les briques scintillantes entreposées les unes sur les autres. La totalité avait fini emprisonnée pour une durée que personne ne connaissait. Et ce que les deux collègues redoutaient, c'était bien de finir leur vie entre quatre murs étroits loin l'un de l'autre. Ils devraient redoubler d'encore plus de vigilance que ce qu'ils n'avaient fait auparavant.

D'une main assurée, l'Australien tapa gentiment l'épaule de son ami en signe de courage. Le plus jeune lui sourit sous sa cagoule avant de se préparer à entrer. Et l'assaut fut lancé, aussi discret était-il. Ils devaient pénétrer une petite pièce sur le côté de la banque, la salle informatique où se concentraient toutes les caméras de surveillance et les alarmes. Un petit paradis sur terre pour le plus vieux des deux. À peine rentrés, ils durent assommer et ligoter fermement l'homme qui se tenait en face d'une multitude d'écrans visualisant chaque pièce plusieurs fois grâce à différentes caméras placées dans les angles. Il s'agissait maintenant de se débrouiller pour que personne ne puisse voir Ni-Ki une fois rentré dans la salle du coffre. Il commença par désactiver les alarmes. Il respirait fortement, il ne voulait pas faire échouer la mission juste à cause de lui et de la pression qu'il se mettait. Le benjamin l'observait faire, serein. Il était persuadé que tout allait bien se passer. Après tout, pourquoi est-ce que leur mission virerait au cauchemar ? Ce n'était rien de plus qu'une banque, et ils en avaient déjà braqué plusieurs autres. Ce n'était rien de plus qu'une routine, même si ce soir, le niveau était un peu plus poussé.

Jake réussit haut la main à désactiver toutes les alarmes et remplacer les caméras de surveillance par la même image, maintenant fixe, qu'elles filmaient en temps normal. Une simple photo qui remplaçait la vidéo. Astucieux pour quelqu'un qui ne s'y connaîtrait pas. La voie était alors libre. Ni-Ki pouvait circuler en toute sécurité dans le bâtiment sous les conseils de son ami dans l'oreillette bien enfoncée. Il devait éviter les gardiens de nuit et tout le personnel qui travaillait lorsque la Lune avait pris possession de la voûte. C'était un labyrinthe, et Jake le guidait à travers un dédale infini de couloirs et de portes tous semblables. S'en était interminable. Et le petit Japonais courait, pour prendre le moins de temps possible, il courait encore et encore. Il se demandait bien s'il allait réussir un jour à atteindre cette foutue salle aux lingots, mais il continuait. Jake ne le perdait jamais du regard, c'était à peine s'il clignait des yeux. Ses sens étaient en alerte, il surveillait chaque personne qui pouvait se mettre sur leur chemin.

L'énorme porte blindée se tenait devant le jeune essoufflé. Il s'empressa de poser le gadget permettant de hacker le système de ce blindage en métal. Cela ne prit que quelques secondes avant que l'immensité cède et se déverrouille. Ni-Ki l'ouvrit et rentra précautionneusement à l'intérieur. Il n'en croyait pas ses yeux, tout autour de lui était jaune et tellement brillant. Il admirait, planté au début de la salle faisant plusieurs mètres carrés. C'était impressionnant, tellement incroyable qu'il en perdit les mots pour informer son aîné qu'il y était parvenu. Ce n'était pas si grave, Jake sautait de joie derrière son écran, si heureux qu'ils aient trouvé ce qu'ils recherchaient tous les deux durant des années. Ils y étaient arrivés, enfin. Mais soudain, l'écran de l'ordinateur devint noir, recouvert de bandes déferlantes de plein de couleurs. Cela ressemblait à un bug, pourtant, Jake était sûr et certain qu'il marchait parfaitement, il ne comprenait pas d'où venait l'erreur. Et il chercha sans relâche, jusqu'à s'asseoir de nouveau sur la chaise et fixer l'écran. Il essayait de comprendre, et il voulait surtout retrouver l'image de Ni-Ki qui se mouvait dans l'or. À la place, une ombre apparue brutalement en face de lui, lui décrochant un sursaut qui faillit le faire tomber de sa chaise. Elle se trouvait dans une pièce éclairée très faiblement d'une teinte bleutée qui la laissait inconnue. L'Australien rapprocha son visage de l'écran pour essayer d'apercevoir le fautif dans toute cette histoire. Mais rien. Il ne put distinguer aucune apparence physique, simplement une grosse masse noire qui ne bougeait même pas.

Pourtant, c'était bizarre, il ressentit rapidement une fatigue intense l'envahir. Il ne pensait pas être autant fatigué après sa mission, et encore, il ne l'avait pas terminée. Il restait Ni-Ki, sans aide dans la salle au trésor. Il luttait, profondément, pour ne pas s'endormir tel un lâche. Il ne pouvait pas trahir ainsi celui qui l'avait toujours soutenu quelles qu'en avaient été les circonstances. Il résistait, et cette masse discrète fronça les sourcils dans l'obscurité. Elle redoubla de puissance et, avec un sourire satisfait, vit le beau jeune homme s'effondrer sur le clavier de son ordinateur. Rien ne pouvait lui résister, et cette personne le savait pertinemment. Elle avança son bras et celui-ci traversa l'écran. L'Australien aurait probablement été choqué de voir quelque chose d'aussi surnaturel pour sa maigre existence. Mais il avait un charme naturel remarquable. L'ombre passa sa main sur sa joue avant d'avancer le haut de son corps à travers l'écran. Elle avait soigneusement pensé à éteindre les caméras au préalable pour que personne ne puisse la voir. Elle attrapa le corps endormi de Jake et le tira jusque dans la pièce.

Quant à Ni-Ki, il ne se doutait pas un seul instant de ce qu'il se passait. Il sautait de joie, nageant dans tout cet or qui allait leur faire devenir riche à coup sûr. Il était sur son petit nuage devenu bien plus brillant que n'importe quel nuage jamais créé. Dire qu'il ne s'inquiétait pas pour son ami dont il n'avait plus de nouvelles serait mentir, mais il s'adonnait à une nouvelle passion qu'il n'aurait jamais cru possible. Son esprit était envoûté, obsédé par tout cet or en face de ses yeux d'adolescent encore innocents. Son rêve s'était réalisé. Mais il revint bien rapidement à la réalité lorsqu'il vit que les pièces sur lesquelles il était étendu commençaient à tomber. Des piles entières s'effondraient juste à côté de lui, projetant des pièces dans tous les recoins. Il s'affola, il ne savait pas quoi faire. Le sol tremblait fortement, et il essaya alors de regagner l'unique porte de sortie. Mais les éléments étaient contre lui, il dégringolait les montagnes trop rapidement. Et il vit là, tout en bas, un gigantesque trou béant aspirer chacune des pièces, chacun des lingots. Tout en roulant sur lui-même, il essaya de se retenir de tomber, il ne voulait pas mourir. Mais s'accrocher à des pièces n'était pas vraiment la meilleure des solutions. Et il ne put éviter cette cavité aussi sombre que le néant lui-même. Et la force gravitationnelle était beaucoup trop puissante pour un si petit corps. Corps qui chuta inlassablement vers rien. Mais il vit, il en était certain, de longs cheveux d'un noir de jais exceptionnellement soyeux, flottant sous un vent imaginaire.