Chapitre 6

23 4 0
                                    

De légers couinements se faisaient entendre dans la pièce. Le réveil était difficile, assommé par toute cette lumière blanche dirigée vers un corps ligoté. La table d'opération glacée lui procurait des frissons sur tout le corps, et il lui fallut beaucoup de temps avant de pouvoir s'acclimater à son nouveau milieu. Et il aurait préféré se rendormir sur le coup en voyant dans quelle sorte d'endroit il se trouvait. Des cages avec des animaux, morts comme vivants, étaient sur le côté gauche contre le mur. Des tonnes de béchers et de fioles de toutes les formes et de toutes les tailles traînaient sur la table à droite. Ils étaient posés à la va-vite, comme si leur propriétaire avait été pressé de quitter les lieux. Ils contenaient néanmoins des substances que personne n'aurait aimé boire, plusieurs teintes étaient présentes et ne leur donnaient pas une impression de confiance. Les unes faisaient des bulles, alors que d'autres ressemblaient à de la lave en fusion, ou encore certaines semblaient clignoter toutes seules. L'homme trentenaire était effrayé par cette vision. Qui savait ce qu'on pourrait lui faire ? Ce devait être le repère d'un fou furieux tout droit sorti des bandes dessinées de science-fiction. En s'y penchant de plus près, il entendit le tintement de verres s'entrechoquer. Il était vrai qu'il n'avait pas une vision complète et ne pouvait donc pas apercevoir ce qui se tramait derrière son dos. Et cela lui donnait d'importants frissons à travers tout le corps. Il entendit le bruit de chaussures claquant sur le sol se rapprocher de lui. L'angoisse vint s'emparer de son corps, il ne savait pas où il était et ce que la personne présente dans la pièce pouvait lui faire. Dans tous les cas, il savait malgré lui que ce n'allait pas être une partie de plaisir.

Il ne pouvait absolument rien voir, c'était un aveugle au milieu d'une ville dense, grouillant d'animation et de mouvement provenant de la vie. Drôle de contraste lorsque l'on savait réellement dans quelle situation il se trouvait ; attaché, ébloui par les lumières trop blanches pour sembler vraies, et évidemment délaissé sur une vulgaire table où les corps mortuaires étaient autopsiés, entourés d'animaux éventrés dans leur cage. Une pression inarrêtable s'exerçait constamment sur l'homme apeuré, et celle-ci se fit beaucoup plus forte lorsqu'une tête masquée d'un tissu bleu apparut soudainement devant ses yeux. Son très cher hôte descendit sur son menton ce qui cachait les orifices lui permettant de respirer, dévoilant un visage enfantin aux airs malicieux. Il esquissa un sourire mesquin avant de se concentrer sur les fioles remplies pour l'une d'un magnifique liquide cyan et pour l'autre d'un liquide visqueux violet. Une simple interaction les fit se mélanger et s'éclater en une galaxie étincelante recrachant une fumée d'étoiles scintillantes. Ce spectacle était tout simplement magnifique, et l'homme s'en serait délecté infiniment s'il ne soupçonnait pas l'adulte pourtant enfantin propriétaire de toutes ces fioles. Qui savait ce qu'elles contenaient et leur niveau de dangerosité ? Le jeune garçon partit déposer les petites potions sur un plan de travail et y prit des seringues avant de revenir voir son acolyte et de poser son outil sur le côté.

— Que voulez-vous de moi ?!

Il sourit d'une façon qui ne rassura pas son interlocuteur attaché, sachant pertinemment ce qu'il allait lui répondre. C'était un rite de passage, il donnait la même excuse à chaque personne qui avait précédé l'homme à la place qu'il occupait.

— Du calme mon joli, tu devrais sourire au lieu de m'agresser. Tu as été choisi parmi la panoplie que j'aurais pu prendre à l'hôpital, et vu le nombre, tu m'as paru le plus costaud à la tâche ! Tu vas avoir la chance d'expérimenter un médicament futuriste spécialement conçu pour la science. Tu verras, lorsque les effets seront présents et que tu vivras, tu deviendras si célèbre ! Tu seras "le patient du futur soigné par le Docteur Kim", et tu n'auras plus aucun cancer d'ici quelques jours ! Alors souris, tu seras le futur de la science entière, tu te rends compte ? Un si grand destin t'est réservé !

Le soi-disant docteur manipulait les mots intelligemment pour mettre en confiance son patient voué à une fin fatale, et il le savait pertinemment. Mais rien de cela ne l'empêchait de pratiquer sa science quelque peu douteuse. Il arriverait à ses fins, il en était sûr et certain. Et c'était sur ces pensées loufoques que Kim préleva à l'aide de sa seringue un bout de l'univers qui remplissait sa fiole d'émerveillement. Et plusieurs de ces petits instruments de torture furent remplis entièrement. Le pauvre homme paralysé n'allait pas s'en tirer aussi facilement. Il se voyait déjà mourir, mais gardait tout de même un nuage d'espoir envers sa miraculeuse survie.

Le docteur se pencha au-dessus de son patient, un sourire vicieux accroché à son faciès si particulier. Il saisit la première seringue qu'il avait remplie et l'enfonça dans la peau frêle du mollet de l'homme malade. D'une poussée rapide, le liquide aux apparences de galaxie se répandit dans les veines impuissantes de leur hôte cancéreux. Celui-ci ne se plaignit d'aucune douleur, mais il était bien réticent à cette expérimentation. Une autre aiguille vint se planter dans son thorax, mélangeant son sang avec cette substance alien que son cœur pulsa à travers l'entièreté de son corps. D'affreuses tracées de bleu et de violet se dessinaient sous son épiderme glacé.

Mais voir son hôte aussi calme ne plaisait pas au docteur Kim, la dernière seringue était la bonne. Il planta avec le plus de rage possible l'ultime instrument dans la tempe de son aîné, vidant le contenu dans les tuyaux livrant de quoi vivre au cerveau maintenant atteint. Une horrible douleur vint s'emparer du corps entier du trentenaire, lui donnant l'apparence d'un épileptique. Il était attaché, et ne pouvait donc pas s'échapper. La totalité de son réseau veineux était gonflé et menaçait d'exploser. Il ne pouvait malheureusement rien faire face à ce docteur qui l'avait amené à s'en aller plus rapidement que prévu. Il aurait définitivement préféré mourir de son cancer plutôt que de cette magie désastreuse. De la sorcellerie modélisée au goût de Kim pour en faire un joli mensonge.

Ce dernier regardait la scène avec son infatigable sourire, intrigué de voir ce que son amélioration sur le produit causait au patient. Il aimait voir les gens souffrir, il aimait les condamner à une mort certainement pire que celle qu'ils auraient normalement dû connaître. Mais il ne put continuer encore longtemps à contempler son chef-d'œuvre. Son regard fut détourné sur le bruit de la porte qui venait de s'entrechoquer avec le mur. Il vit, horrifié, une jeune femme plantée devant lui, le regardant sous sa capuche.

— Kim Sunoo...

Elle esquissa un sourire en coin avant d'ôter sa capuche, dévoilant son entière personne aux yeux d'un pur inconnu qui rejoindra bientôt son nouvel endroit de vie. Il put remarquer ses longs cheveux noirs s'arrêtant au milieu de son dos qui contrastaient avec la blancheur de la salle dans laquelle ils se trouvaient tous les trois. Il vit ses lèvres et ses yeux d'un rouge profond, mais le dernier point ne le rassura pas vraiment. Sa grande taille la rendait svelte et d'un physique parfait, tout le monde rêverait d'être aussi magnifique que cette femme. Et elle avait tous les hommes à ses pieds, elle le savait pertinemment. Un silence se fit entendre, personne ne bougea, comme si le temps avait été stoppé. Le docteur n'était pas rassuré du tout, il paniquait mais ne s'autorisait pas à le laisser paraître un seul instant. Qui savait, cette femme pouvait être dangereuse ?

Et il faisait bien de douter, mais il n'eut pas les réflexes nécessaires pour fuir face à l'attaque du Petit Chaperon Noir. Elle l'attrapa par le cou, l'obligeant à ne rien tenter pour ne pas mourir, il l'avait bien compris. Pourtant, sa curiosité avait redoublé, il voulait connaître cette femme. En savoir rien qu'un peu plus sur cette œuvre d'art si spéciale qui s'était présentée à lui par le plus grand des hasards, ou pas. Mais il ne put rien faire, et son vis-à-vis lui souffla une poudre verdâtre à la figure qui l'endormit instantanément. Elle put alors facilement l'emporter vers les entrailles de son lieu de vie, laissant l'homme inerte sur sa table d'opération. Au moins, elle savait qu'elle ne le rencontrerait pas là où elle se rendait.

Dᴀʀᴋ Bʟᴏᴏᴅ ¹ | 𝗘𝗡𝗛𝗬𝗣𝗘𝗡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant