Chapitre 11

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Pendant ce temps-là, la déesse marquait sa satisfaction en s'appuyant d'un air royal sur la rambarde entourant l'étage dominant les quartiers des âmes égarées qu'elle avait accueillies dans sa somptueuse demeure. Alors que ces pauvres êtres affolés échangeaient quelques brèves paroles réservées, elle avait pu évaluer un faible pourcentage des capacités que ces jeunes humains possédaient le temps de l'épreuve qui s'était déroulée quelques minutes plus tôt. Elle avait surtout pu constater que son charme, aussi froid qu'énigmatique, faisait toujours autant d'effet sur ses lamentables sujets. Et elle en était fière, triomphant présomptueusement de se prendre pour la reine du monde car, c'était bel et bien le cas, elle était souveraine de ce monde. Bien évidemment, elle n'avait aucune emprise sur celui des mortels qui semblait bien pathétique, mais elle concentrait tous les pouvoirs sur celui des profondeurs abyssales où les âmes impies venaient expier leurs péchés les plus obscurs. Et elle usait de ces pouvoirs pour en faire des jouets obéissants qu'elle pouvait manipuler à sa guise, s'amusant de leur ignorance. Cette attraction lui permettait d'oublier un peu cette solitude qui la pesait au quotidien. Elle avait beau régner en maître sur les entrailles de l'univers, une reine ne gouvernait jamais seule. Et l'Enfer était loin d'être l'endroit idéal pour faire des rencontres et espérer trouver l'âme-sœur. À la place, elle préférait châtier ces humains désespérés la suppliant de les laisser poursuivre leur misérable existence au Paradis. Malheureusement pour eux, le bon sens de la déesse parcourait encore ses veines de feu, ne leur laissant aucun répit pour se repentir. Ils finissaient en âmes perdues dans les plus sombres recoins de leur nouveau lieu d'errance, surveillés par une poignée de petits démons n'hésitant pas à leur fournir une correction lorsqu'ils tentaient de s'échapper. Il valait mieux se comporter en Saint durant ses quelques années de vie pour éviter de pourrir en Enfer pour l'éternité. Pourtant, personne de son vivant n'aurait pu s'imaginer une seule seconde ce qui les attendait une fois passé les portes de ce lieu maudit.

Mais durant son observation détaillée des faibles activités que pratiquaient ses invités, elle sentit un nouvel arrivant rentrer dans sa salle préférée. Elle quitta ses fonctions et se dirigea vers cette pièce quelque peu spéciale. Et lorsqu'elle s'y introduisit, elle découvrit un adolescent apeuré au regard alerté. S'installant dans son trône de pierre, elle ne fut pas plus touchée de voir une si jeune personne descendre en Enfer, aucune compassion n'était donc à employer avec lui. S'il était ici, c'était évidemment pour une bonne raison.

- Qu'est-ce qui t'amène ici, gamin ?

Le concerné se tourna précipitamment dans la direction de cette voix glaçante, et rencontra inévitablement le regard perçant de la charmante jeune femme se tenant devant son corps tremblant.

- Je... Où on est ?

Sa voix suivait son corps, ce qui exaspéra la déesse qui en avait assez de répéter inlassablement à chaque nouvel arrivant la même chose. Mais son statut ne lui laissait pas d'autres choix.

- Tu es en Enfer, mon petit.

- Non ! C'est pas possible... On m'a noyé ! Je n'ai rien fait à personne !

- C'est que tu devais le mériter.

La déesse haussa les épaules et se leva de son trône. Les claquements de ses talons se rapprochaient de la feuille qu'était cet adolescent en pleine torpeur, et sa main, prolongée par de longs ongles noirs, attrapa son cou fermement pour le faire léviter. Son sang ne fit qu'un tour et le tortura en le brûlant de par son toucher mortel. Ce qui lui parut étrange, outre les cris de douleur, fut le clignotement que son corps exerçait ; il semblait s'effacer un instant puis reprendre sa forme d'âme comme elle en voyait chaque jour. Mais cela n'empêcha pas un sourire effrayant d'émaner de ses lèvres rouges tout en fixant ce pauvre garnement qui essayait tant bien que mal de se débattre.

- Alors mon joli, quelle punition vais-je t'offrir pour l'éternité ?

Pendant qu'elle réfléchissait, une voix forte se fit retentir derrière eux, les faisant tourner la tête de stupeur.

- Alytheris, arrête ça !

Une lueur blanche aveuglante rentra dans la pièce tandis qu'une force invisible contraint la déesse à déposer sa victime sur le sol. Et ladite Alytheris ne comptait pas s'opposer à cette force.

- On ne t'a jamais appris à toquer avant d'entrer, espèce d'idiot ?

- Je n'ai pas le temps pour ça. Regarde ce que tu fais... Il est encore en vie, sur le point de mourir, mais son cœur bat encore. Il est jeune, il doit vivre.

- Tu devrais plutôt te demander pourquoi il a atterri ici et pas dans ton monde de Bisounours répugnant.

- Là n'est pas le sujet, Aly'.

La déesse roula des yeux sous le nez de ce jeune homme qu'elle connaissait bien. Ce dernier prit le relais avec l'adolescent encore plus égaré que lors de son arrivée.

- Comment t'appelles-tu, mon garçon ?

- Kai... Qu'est-ce que...vous allez me faire ???

- Tu n'as rien à faire ici, je vais te renvoyer de là d'où tu viens. Prends ma main. Je te promets que tout ira bien.

Le dénommé Kai observa un instant la main que lui tendait l'homme vêtu de blanc. Il obtint un sourire de paix qui présageait le meilleur et surtout, la vie. Et il ne pouvait que lui faire confiance s'il voulait retourner chez lui. Il plaça sa grande main dans celle de son interlocuteur qui ferma les yeux, prononçant quelques paroles dans sa tête. Une lumière dorée éclata par faisceaux en dehors du corps de l'adolescent. Et la lumière fut si éblouissante que la déesse elle-même dû se cacher les yeux. Vivre sous le feu des chandeliers dispersés çà et là n'aidait pas, étant sa seule source de lumière valide. Lorsqu'elle put rouvrir les yeux à la suite du déclin lumineux, l'adolescent n'était plus là. Sûrement retourné à une vie moindre et d'un éclat barbant. Irritée, Alytheris se tourna face à celui qui avait causé tout ce tas de complications.

- Tu ne sais pas te mêler de tes affaires, Anahel ?!

- As-tu seulement conscience de ce que cela a comme impact de tuer un vivant de ton plein gré ?

- Il était en train de mourir ! S'il est descendu ici c'est pour une bonne raison. Mais forcément, Monsieur Parfait a fait des siennes et m'a privée de ma distraction !

- Oh arrête de te plaindre je t'en prie ! Tu as déjà fait assez de mal aux gens comme ça. Je dois te rappeler de la dernière fois où tu as tué un groupe de garçons pour t'amuser avec eux ? Tu voulais reproduire la même chose avec ce pauvre enfant ?!

- Ça ne te regarde pas, frangin.

- Heureusement que tu as arrêté ces bêtises...

La jeune femme observait simplement le visage jusque-là rassuré de son grand frère, sans émettre de réponse concrète. Elle connaissait ses torts, et elle n'aimait pas mentir à son frère. Elle détestait ça même. Mais il la connaissait tellement bien que sa réaction ne le laissa pas indifférent.

- N'est-ce pas..?

Un simple regard fixe et il obtint sa réponse, aussi glaçante que réaliste.

- Ne me dis pas que tu as recommencé ?! Non mais tu te moques de qui Alytheris !? Arrête ça tout de suite, tu vas finir par devenir folle à cause de ces enfantillages.

- Lâche-moi un peu la grappe, tu veux ? Je suis assez grande pour prendre mes propres décisions, et ici c'est chez moi, alors si tu es venu me reprocher ce que tu n'oserais jamais faire, tu peux repartir sur ton île flottante de désillusions.

- Papa ne te laissera jamais continuer à agir ainsi, et sois-en certaine que je lui en parlerai.

- Fais donc ! Et que tu ne remettes plus un pied ici !

Anahel poussa un soupir lourd de sens et s'envola vers son royaume tandis que la déesse retourna d'un pas brusque à son poste d'observation pour calmer la colère qui chauffait ses veines, non sans réprimer quelques paroles qu'il lui fallait extérioriser pour se sentir mieux.

- Ange de malheur !

Dᴀʀᴋ Bʟᴏᴏᴅ ¹ | 𝗘𝗡𝗛𝗬𝗣𝗘𝗡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant