Chapitre 12 : Une lionne en cage

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Je hurle son nom à m'en décoller un poumon. La foule me bloque le passage. Je parviens à peine à le voir. Voir qu'il ne bouge plus et que mes appels restent sans réponse. Je tente de me rapprocher. Qu'importe si la mêlée me semble dangereuse. Baji essaye de me retenir mais je me faufile entre les corps en sueurs qui se battent sans relâche. Je ne sais même plus qui je pousse, s'ils portent une veste noire ou blanche. Impossible de forcer le passage. Au cœur de la bataille, mes poings se brisent sur des têtes et mes chaussures s'abattent dans des côtes, sans que le chemin vers Ken ne se dévoile. Je crie, encore et encore.

- Mais elle va la fermer ?! S'énerve un membre de Moebius en me fonçant dessus par derrière.

Son coup de pied m'atteint à l'omoplate. Je douille. Mais moins que cette douleur qui perce mon cœur de part en part. Il charge à nouveau. Mes muscles se tendent. Sa gueule ne me revient pas. Pas plus que tous les autres qui subiront la même chose s'ils m'empêchent de rejoindre mon frère. J'esquive le poing de mon assaillant et cale mon dos contre lui pour l'envoyer au sol d'une simple prise. Son poignet tordu entre mes mains, je tire son épaule vers moi jusqu'à entendre ce son presque apaisant d'un os qui se déboite. Ma rage m'épuise. Je hurle de moins en moins fort. A ma gauche, Mikey se bat avec ce type à la coupe en brosse immonde, le nouveau chef de Moebius. Il lui tient tête et c'est ce qui m'inquiète le plus après l'état de Ken. Incapable d'avancer plus, j'observe Takemichy arriver à sa hauteur et l'embarquer sur son dos.

- Il est vivant !

Son cri enlève les kilos de tension qui enfonçaient mes épaules. Je me concentre à nouveau sur le combat. Mon corps ne tient debout que grâce à l'adrénaline. J'ai l'impression que les petits os qui composent mes avant-bras se brisent un peu plus à chaque coup porté. Je finis par plus esquiver ceux de mes adversaires qu'en donner. Dans un échange de savate avec un dernier assaillant, je m'effondre en même temps que lui sur le sol. Incapable d'imaginer pouvoir me relever. C'est Baji qui se traîne jusqu'à moi et s'adosse au muret qui me tient assise.

- J'ai gagné, sourit-il, un filet de sang dégoulinant de sa lèvre.

- Tu gagnes toujours Baji, il faudrait que j'arrête de parier avec toi.

Ma voix légère trahit tout de même mon inquiétude. Je fixe Mikey, toujours aux prises avec son alter égo. Autour d'eux, plus aucune tête ne dépasse. Je reprends à peine mon souffle quand j'entends les sirènes de la police se rapprocher. Baji passe son bras sous le mien et m'aide à me relever. Je le soupçonne de se raccrocher à moi également. Mais ça n'a que peu d'importance. Je tire la manche de ma veste, bonne pour la machine à laver, jusqu'à sa joue pour enlever le sang qui y sèche déjà. Les gyrophares commencent à teinter les rues alentour de leurs couleurs. Le temps presse. Le chef de Moebius s'éclipse déjà.

- Faut qu'on se tire ! Crie Baji à l'attention de Mikey.

Ce dernier réagit au quart de tour et court vers moi.

- Ça va ?

Sa question n'attend aucune réponse. Je tiens debout, alors tout va bien. Baji part de son côté au petit trot, un peu clopinant. Mikey attrape ma main et me tire vers sa moto. Je me cramponne à lui tout le trajet. Mes mains tremblent comme une feuille. Je ne sais pas si c'est la pluie qui me frigorifié, mes muscles si épuisés que mes bras tressautent, ou la peur de ne plus jamais revoir mon frère. L'eau dégouline sur mon visage. Bientôt des larmes rejoignent la course.

- Je veux pas qu'il meurt... Putain.

J'essuie péniblement ce mélange de pluie et de larmes sur le dos de Mikey. Je serre les dents pour retenir mes sanglots. Ken me dit toujours de ne pas pleurer avant d'avoir mal. Il ne pensait sûrement pas se faire planter un jour et giser dans une flaque de son propre sang. La moto dérape devant l'hôpital. Mikey ne lâche pas ma main, il l'agrippe à m'en couper la circulation jusqu'à ce que nous rejoignons l'intérieur.

- Ils l'opèrent, explique Takemichy alors que je tente de reprendre mon souffle.

Ma respiration saccadée donne l'impression que je traverse une crise d'asthme. Au fond de la salle d'attente, Emma pleure toutes les larmes de son corps, épaulée par Hina, la petite-amie du blondinet. C'en est trop. Je ne peux pas rester là à regarder leurs visages fermés. Ils l'ont déjà enterré. Je vais craquer.

- Merde.

Je lâche la main de Mikey et part me perdre dans les couloirs des urgences. Loin. Là où je ne les entendrai plus parler d'arrêt cardiaque ou répéter Draken toutes les cinq minutes, comme s'il était déjà six pieds sous terre. Je tourne en rond. Une lionne en cage. Les allers retours que je trace se comptent en centaines. Je pourrais creuser une tranchée au sol tellement mes chaussures traînent sur le carrelage. Mes doigts, que je triture à chaque pas, me font toujours aussi mal. J'essaye de me vider l'esprit en récitant les paroles des chansons que je connais par cœur. Mes murmures se coincent dans ma gorge nouée par le stress et la peur. J'ai peur. Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Même quand je pensais que la mienne allait se terminer. Si Ken meurt... Si Ken meurt... Mon hypothèse n'aboutit pas. J'entends des pas au bout du couloir. Mikey apparaît et s'avance lentement vers moi. Ses lèvres pincées m'inquiètent. Mon cœur s'emballe, comprimé dans un étau terrifiant. J'oublie de respirer.

- Il est vivant.


[Merci infiniment pour la lecture de ce chapitre 12 ! Ça me fait trop plaisir de vous livrer un chapitre par jour, je trouve que c'est une bonne dynamique.]

Être avec toi 一緒に [Mikey X OC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant