𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐈 - 𝐕𝐞𝐫𝐬𝐞𝐭 𝟏

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Lorsque je soulève mes paupières, une déroutante pénombre m'enlace de ses voiles opaques. Mes poumons se gonflent d'une grande inspiration, qui m'arrache au passage une quinte de toux. J'ai l'impression d'avoir retenu mon souffle pendant une centaine d'années. Le vortex dont je viens de m'extirper crépite comme un concert de feux follets. Une dernière vague d'étincelles cuivrées agite sa surface et le tourbillon regagne sa forme initiale.

Je contemple désormais la fresque d'une citadelle d'ivoire baignée d'un glorieux zénith qui s'étire à l'horizontale tel un ruban infini. Grâce à la magie, une poignée de seconde suffit pour vaquer d'un royaume à l'autre. La preuve : en un claquement de doigts, me voilà à des lieues de mes terres natales pour réaliser ma destinée... À condition que je ne vomisse pas mon déjeuner avant.

Une nausée me retourne le ventre. J'accuse le choc et m'appuie contre l'une des colonnes de pierre à proximité, la bile aux lèvres. Papa m'affirmait que la première traversée éthérée octroyait souvent le mal de mer. Je lui avais alors ri au nez, certaine qu'il se montrait surprotecteur, comme à son habitude. Quelle ironie ! Je devrais pourtant savoir que l'avenir lui accorde toujours raison.

Des bouffées de chaleur me submergent. Je tente d'apaiser la secousse des hoquets lorsque la caresse d'une brise légère contre ma joue me surprend. Un papillon bleu ! La voltige de l'improbable lépidoptère autour de moi achève de me filer le tournis. Un nouveau haut-le-cœur m'ébranle, mais, quand je relève la tête, le danseur aérien a disparu. Mon imagination me joue-t-elle des tours ? La téléportation engendre sans doute des effets secondaires supplémentaires... Mes prunelles s'adaptent peu à peu à la pénombre. Je finis enfin par discerner les environs du Peinturodrome qui m'accueille.

Dans une immense galerie circulaire, surplombée d'un plafond de verre, toute sorte de voyageurs émergent, comme moi, des tableaux voisins. Le chemin vers mon point de rendez-vous m'accorde l'opportunité d'en admirer quelques-uns.

Je tombe en premier sur le cubisme macabre d'un désert de roches tranchantes, aux relents apocalyptiques. Le trompe-l'œil juste à côté, lui, me projette au sein d'une jungle mystique. Je reluque les appétissants fruits qui y luisent, telles des lanternes. Ma déambulation se poursuit avec la rencontre d'un glacial romantisme. Je frissonne rien qu'en apercevant les pics enneigés, noyés sous une averse de cristal. Je me fige soudain. Une gravure à l'encre si noire qu'elle en aspire la lumière se cache au fond d'un corridor. Ses formes abstraites s'enroulent, langoureuses, en un ballet hypnotique. Je m'approche, subjuguée, et m'interroge au sujet de la mystérieuse destination qui réside de l'autre côté de cette toile ensorcelée. Serait-ce possible qu'il s'agisse de...

— Les candidats du concours d'entrée de l'Arcaneum, magnez-vous !

L'interpellation me déloge de ces réflexions avec la violence d'un seau d'eau froide jeté en pleine figure. Un homme borgne à la cinquantaine bien avancée, martèle le sol de sa longue canne en bois entortillé. Sa voix bourrue résonne derechef.

— Encore deux minutes pour me communiquer votre présence à l'examen. Passé ce délai, je vous autorise à chouiner... Chez vous !

Aussitôt, je me hâte au pied de sa silhouette massive et lui fournit ma convocation. Ses mèches grises, semblables à des crins drus, encadrent sa face balafrée et lui confèrent une aura peu commode. Sa stature trapue, bossue, m'évoque un vieil ours des montagnes, rodé à une existence austère. L'unique globe oculaire dont il dispose scrute l'attestation.

— « Lyria Aubeclaire... », lit-il avant de grommeler dans sa barbe.

— Un souci, monsieur ? m'enquis-je inquiète de sa réaction inopinée.

𝐍𝐎𝐂𝐓𝐔𝐑𝐍𝐄 ☾Où les histoires vivent. Découvrez maintenant