𝐈𝐍𝐓𝐄𝐑𝐋𝐔𝐃𝐄 𝐈𝐈𝐈

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— Nous sommes suivis, glissé-je tout bas. Tiens-toi prête, notre charmante escorte n'a rien d'amical.

— Comment ça ?

La panique n'a pas le temps de s'emparer des traits de Lyria que je la tire derrière moi. Un sifflement nous crève les tympans. Une gerbe d'étincelles ricoche à l'endroit où elle se trouvait. Seules l'odeur de brûlé et la trace noirâtre sur les pavés laissent présager ce qu'elle serait devenue sans mon réflexe salvateur.

Quatre tornades se forment en cercle autour de nous. Je rabats mon avant-bras pour me protéger des bourrasques de poussières. La force du vent plaque une nouvelle fois l'Aubeclaire contre mon dos. Malgré le rugissement des rafales, je suis quasiment sûr de l'avoir entendu pester. Heureusement, la tempête ne dure pas. Au bout de quelques secondes, l'ouragan s'apaise. Des silhouettes émergent du rideau opaque qui se lève.

L'entièreté de leurs visages se dissimule sous un masque écarlate. Je reconnais sans peine le symbole de glaive et de sang qui s'y grave en son centre. De longues toges sombres camouflent également leur physionomie. Sans surprise, il m'est impossible à première vue de recueillir un quelconque indice sur leur identité. Après tout, la survie d'un Insurgé tient à son anonymat.

Un silence assourdissant s'abat sur les environs. Nos deux camps se toisent. Je place une main en prévention devant Lyria. La pire des erreurs serait de foncer tête baissée dans un affrontement. Une poignée de secondes s'écoulent ainsi lorsque, enfin, l'un de nos agresseurs se décide à parler. Le timbre métallique de sa voix indique qu'un sortilège la déforme.

— Voilà donc le fameux Cassian Frey... Qui aurait cru que l'assassin de nos amis soit ce jeune arrogant ?

— On m'avait décrit un stratège de génie. Un véritable fils de pute, du même acabit que son père... Pas un imprudent qui se promène au grand jour avec sa maelka sous le bras ! renchérit un second.

— Je n'ai jamais compris pourquoi l'Insurrection interdit de s'en prendre directement à lui... Une simple embuscade suffirait pourtant à s'en débarrasser pour de bon !

— Méfiance, mes frères. Il n'est pas le chien de l'Usurpatrice pour rien. Vous connaissez aussi bien que moi la réputation des Frey ! les mets en garde le dernier, beaucoup moins confiant que ses associés.

L'adrénaline déferle dans mes veines. Croiser mes ennemis jurés ici me procure une joie incommensurable. Pour une fois que je n'ai pas à les traquer comme des lapins ! Je m'assurerai qu'ils ne regrettent pas d'avoir transgressé les ordres de leur groupuscule de rebelles.

— Je vois, en tout cas, que vous n'avez pas peur de m'affronter seuls, raillé-je en désignant leur surnombre évident d'un ample geste.

Aussitôt des grognements irrités grondent sous les plaques d'étains aux reflets sanguins. Leurs postures se contractent. Une tension palpable flotte dans l'air.

— Amusant, ça. Peut-être que si nous brûlons cette charmante demoiselle vivante, l'envie de jouer le malin te passera ? persifle le plus téméraire du quatuor.

La panique s'empare du souffle de Lyria, devenu bruyant. Elle se crispe, prête à bondir à la moindre occasion. J'approuve son instinct belliqueux, mais je la retiens. Les novices ne font pas long feu sur un champ de bataille... Et je refuse de prendre le risque qu'elle se blesse, voire pire. Elle est trop importante pour la suite.

J'ai une idée, divertissante, qui plus est. Je desserre mon nœud de cravate avec un mouvement lent et en profite pour décrocher la broche épinglée. En toute discrétion, l'étoile d'argent tombe dans ma paume. Je me tourne alors vers la brune et recouvre ses mains des miennes. Mon geste la déconcerte au point qu'elle en reste inerte.

— Nous devons leur obéir Lyria... m'exclamé-je, épris d'une fatalité soudaine.

— Ne me dis pas que ces quatre illuminés t'impressionnent...

Elle s'interrompt quand le métal froid entre en contact avec sa peau. Une lueur interrogatrice fuse dans son regard. Heureusement, elle fait preuve d'assez de présence d'esprit pour récupérer le bijou stellaire sans broncher. Je poursuis ma tirade, fidèle à mon rôle.

— Ils sont bien plus nombreux que nous ! Un tel déséquilibre ne nous laisse aucune chance... Écoute-moi, c'est pour notre salut à tous les deux ! clamé-je avant que ma voix ne se transforme en un murmure audible de mon interlocutrice uniquement : dès que je m'écarte, prononce distinctement la phrase "Vers mes racines, je reviens".

L'incertitude tangible sur ses traits me semble durer une éternité. À mon grand soulagement, le balancier de sa réflexion penche finalement du bon côté. D'un signe de tête, Lyria me signifie son accord et je remercie intérieurement les onze lunes de sa docilité.

Quand je la libère, ses bras tremblent. J'esquisse un pas vers l'arrière. Le signal pour elle. Au fond de ses pupilles havane, je trouve l'étincelle capable de déclencher un incendie. Elle a un tempérament de guerrière.

— Tu as intérêt à savoir ce que tu fais, Cassian, m'avertit celle qui ne manque pas de cran, avant de prendre une grande inspiration et m'écrier : Vers mes racines, je reviens !

Ses lèvres pleines formulent l'incantation à la perfection. Aussitôt un hâle de lumière dorée jaillit de l'étoile d'argent. La bulle aveuglante se répand de l'astre et enveloppe d'abord son bras puis l'ensemble de sa silhouette gracile. Les Insurgés n'ont pas le temps de réagir que Lyria disparaît, téléportée sous leur nez.

— Merde, merde, merde ! peste l'un des hommes en rouge. J'avais oublié ce putain de sortilège de rappel !

— Calme toi, mon frère... Frey en aurait fait de même s'il le pouvait. Or, il se tient toujours ici. Profitons-en, nous le tenons !

La cruelle satisfaction du loup qui accule enfin sa proie alimente leur assurance. L'étau se resserre. Tandis qu'ils avancent à pas lent, les gemmes des anneaux brillent à leurs doigts, réveillées par la magie qui circule dans leurs veines. Sous l'impulsion de leurs porteurs, les bijoux enchantés se tordent, s'allongent, se métamorphosent.

Une lame en guise d'extension de bras pour l'un, une arbalète pour l'autre... Je comprends enfin pourquoi ils n'avaient pas froid aux yeux en s'attaquant directement à moi. Pour parvenir à révéler le pouvoir caché de leurs bagues, ces sorciers dépassent de loin le niveau d'un simple amateur. Des mercenaires professionnels, sans doute.

— Rends-toi sans faire d'histoire, Lord Frey. Tu n'as aucune chance.

— Jette ta bague maintenant et nous t'offrirons une mort rapide ! renchérit un autre.

Je m'exécute, docile comme un agneau. Le serpent noir enroulé autour de ma phalange quitte mon index gauche. Avec un tintement sinistre, il ricoche sur les pavés gris de la ruelle puis roule jusqu'au pied de l'Insurgé en retrait. Ce dernier, le plus silencieux du groupe, s'en empare. Il le tourne entre ses doigts, d'un geste peu assuré.

— Les gars... Je sais que vous voulez à tout prix venger les autres, mais vous ne trouvez pas son manque de résistance suspect ? Vous aussi avez entendu les rumeurs sur-

— Arrête de geindre et laisse-nous faire le travail si ce gamin te fait peur ! le coupe son allié.

Leur soif de vengeance les aveugle d'une rage sourde. D'un commun accord, les trois Insurgés rassemblent l'énergie magique au creux de leurs paumes tendues. Les bagues éveillées insufflent une puissance hors norme, dont les vapeurs brûlantes carbonisent les imprudents brins d'herbe entre la pierre.

Embrase !

N. A. : Serait-ce la fin pour Cassian ? Se sacrifier pour Lyria... Trop mignon ! Quel dommage qu'il meurt aussi vite, j'aimais bien ce personnage moi...

⇴ Qu'avez-vous pensé de la métamorphose des bagues de sorcier ? Si vous en aviez une, en quoi aimeriez vous qu'elle se transforme ? (ça peut être n'importe quoi, un outil, une arme, un instrument...)

⇴ Votre avis sur l'Insurrection et le rôle qu'elle jouera dans l'histoire ?

Coeur sur ceux qui voteront et laisseront un petit commentaire ♥

𝐍𝐎𝐂𝐓𝐔𝐑𝐍𝐄 ☾Où les histoires vivent. Découvrez maintenant