𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐈 - 𝐕𝐞𝐫𝐬𝐞𝐭 𝟐

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Nous patientons à la sortie du Peinturodrome. Des dizaines de calèches s'alignent à l'intérieur de ce hangar de gare désaffectée. Le professeur Markovic attribue les embarcations et claque sans ménage les portières dans le dos des binômes. Une voiture arrive, tirée par de nobles étalons à la robe tachetée. Sa carrosserie olive arbore l'emblème de l'Arcaneum, une étoile dorée à neuf branches. Mes valises calées sur le porte-bagage me confortent dans ma détermination : l'avenir des Aubeclaire repose sur ma réussite à cette épreuve.

Une fois que le coche parvient à ma hauteur, l'émissaire de l'institution de magie me fait signe de monter. Ma bottine s'appuie sur le trépied et je me hisse dans l'habitacle. Une senteur capiteuse de fleurs séchées me chatouille aussitôt les narines. Elle s'échappe d'un bâtonnet d'encens, suspendu entre les deux banquettes. La rousse occupe déjà l'un des sièges molletonnés. Je m'installe alors sur celui d'en face. Mon échine s'enfonce tout juste dans le dossier en velours que le battant se referme et la calèche démarre.

Le trot des chevaux s'amplifie à mesure que nous nous éloignons du point de départ. Le ballottement me berce au rythme de la lueur chancelante de la seule bougie. Je tente de discerner un quelconque paysage par l'unique lucarne, mais la vitre opaque ne livre rien des mystères qui résident de l'autre côté.

— Ne t'inquiète pas, maelka. Tu retourneras bientôt bronzer au soleil et parler de chiffons, me snob ma co-équipière d'infortune.

Je toise l'arrogante dans la pénombre. Cette dernière adopte une posture droite, véhémente qui contraste avec son minois de poupée où sa carnation pâle s'agrémente d'une myriade de taches de rousseur. Les mèches cuivrées de sa longue chevelure lisse tracent des sillons de feu sur la fourrure anthracite de son manteau. Son âge avoisine le mien, l'aube de la vingtaine sans doute.

— Tu sembles bien renseignée sur mon quotidien, raillé-je.

— Ce n'est un secret pour personne. Les solestiens passent leurs journées à se rouler dans l'or qu'ils amassent pendant que le reste de l'Empire subit la malédiction.

— Qui te dis que je viens de Soleste ?

— Ta peau gorgée de soleil et ton air niais.

— J'en déduis donc à ton teint cadavérique et ton attitude désagréable que tu es originaire de l'un des royaumes nordiques ?

J'appuie ma répartie d'un petit sourire hypocrite. Le défi dans mon timbre lui arrache un rictus mauvais. Elle se penche en avant et, le long de son épaule, des mèches de flammes glissent. Sur le ton de la menace, elle gronde :

— De là où je viens, on enterre nos adversaires. Pas sous de la terre, non. On les cloître vivants, dans un cercueil de glace transparent pour mieux les observer suffoquer.

Alors, je prends une grande inspiration et, à mon tour, j'incline mon buste vers l'avant.

— Voilà pourquoi, à nos yeux, vous resterez uniquement des barbares à exploiter.

Je me redresse pour signifier la fin de cette vaine joute verbale. Elle m'imagine sans doute participer à sa joyeuse tradition locale vu sa grimace haineuse, mais je l'ignore. La course des chevaux sur le chemin terreux devient vite le seul bruit de fond. Je bâille d'ennuis, saisie d'une écrasante léthargie. L'indescriptible mélange de fleurs séchées qui émane de l'encens se fait de plus en plus entêtant, si bien qu'un mal de tête me gagne. Mes doigts tâtent le rebord de la fenêtre, dans l'espoir de coulisser la vitre pour happer une bouffée d'air frais, sans succès. L'arrêt net de la calèche me projette contre le mur.

Je peine à retrouver mes esprits, dû à la violence du choc. Je me redresse, tout en massant mon front et constate que la rousse semble tout aussi désarçonnée que moi. La porte de la voiture s'ouvre comme par magie, avant même que nous ne puissions échanger un mot.

𝐍𝐎𝐂𝐓𝐔𝐑𝐍𝐄 ☾Où les histoires vivent. Découvrez maintenant