𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐈 - 𝐕𝐞𝐫𝐬𝐞𝐭 𝟑

159 21 59
                                    

L'envie de vomir me soulève les entrailles. Seul mon instinct de survie m'évite de répandre tout le contenu de mon estomac au sol. La fille rousse à mes côtés, plus blanche encore que la craie, laisse échapper un sursaut étranglé.

Sous l'astre nocturne, se révèle l'abomination dans toute sa splendeur. Inutile de chercher l'humanité sous le tissu déchiré de la capuche qui recouvre la moitié supérieure de son visage figé. Des veinures sombres serpentent depuis ses lèvres, ternies par la noirceur. Elles contrastent avec le blème de sa peau, semblable à des fissures dans le marbre. Notre effroi se poursuit lorsque nous apercevons la forêt dépérir dans le sillage de sa longue cape d'ébène. Les feuilles tombent en poussière du haut de leurs rameaux, les fleurs sauvages se fanent à vue d'œil. Le pire, c'est l'odeur de charogne que soulève la pluie de cadavres d'oiseaux, interrompus dans leur envol fugitif.

La Mort est là.

Mon corps tétanisé refuse de bouger. J'attends que la Faucheuse vienne me cueillir, dans l'impossibilité de me mouvoir. Une violente douleur à la joue droite me sauve de la pétrification. Je n'ai pas le temps d'entendre le caillou rebondir contre le sol que la rousse toujours à terre me crie :

— COURS !

Son injonction rompt la torpeur. Je me raccroche à sa présence, seul point de lumière dans les ténèbres qui nous encerclent.

— Mais... Mais et toi ?! balbutié-je.

Je décèle la plus primitive des peurs dans son regard, mais, malgré tout, une flamme ardente y brûle.

— On s'en fout de moi ! Ce n'est pas comme si je pouvais me lever ! Alors, fais-moi plaisir et va utiliser cette putain de pierre de téléportation !

Elle me désigne l'autre côté de la clairière. J'aperçois au loin un petit autel, enveloppé d'une lueur bleutée. La porte de sortie ! Elle se trouve droit devant ! Je m'élance de toutes mes forces. Le froid me lacère la trachée. Ma respiration effrénée puise les dernières réserves d'oxygène dans mes poumons. Je vole, libérée de l'ankylose. L'adrénaline me propulse jusqu'à l'artéfact salvateur. Mes doigts se délient, caressent la surface tant convoitée. En dessous de son socle, je lis l'inscription « Brise-moi, et l'Arcaneum deviendra ton chez-toi. »

J'ai réussi !

.

.

Vraiment ?

Une seconde de trop et je me fige. Mes pensées vont à la condamnée, dans mon dos avec sa cheville piégée, incapable de se lever. Partir, c'est l'abandonner à la Mort. Je me retourne. Le Faucheur n'est qu'à un souffle d'elle. Pourtant, elle ne courbe pas l'échine, non. Elle l'affronte, le visage fier.

Pourquoi devrais-je l'aider ? Parce que sa jambe invalide réduit ses chances de survie à néant ? Je n'ai toujours pas oublié le fameux caillou qu'elle m'a jeté un instant auparavant. Malheureusement pour elle, j'ai le terrible défaut d'être rancunière.

Alors, à mon tour, je lui lance la pierre.

L'objet fuse en arc de cercle jusqu'à elle. La surface du cristal se brise au contact de sa peau. Un rassurant halo ambré la submerge immédiatement. Elle pivote vers moi, stupéfaite, mais à peine prend-elle conscience de mon geste, qu'elle disparaît en une poussière de lumière. La dernière source de chaleur s'évapore. Les ténèbres surgissent à nouveau, plus oppressantes que jamais. Mais je ne faiblis pas. J'accepte la peur.

Seule, face à la Mort.

J'ai souvent entendu dire que la mort réside dans l'éternité. Je ne suis pas d'accord. À mes yeux, la mort c'est la fin. Le néant. Une fois passée, elle ne laisse rien. Rien d'autre que des souvenirs aux vivants. Le courage qui avait alimenté mon élan de bravoure se disloque avec l'agonie lente de la forêt qui m'entoure. Mes forces me désertent, avalées par l'insatiable faim de la Faucheuse. Un gouffre sans fond, qui draine la vie dans ses profondeurs, sans parvenir à les remplir.

La beauté macabre du déclin funèbre m'envoûte. Subjuguée et horrifiée à la fois, je m'abandonne au requiem. Le râle de la terre se mêle aux gémissements du ciel. Dans la tempête de putréfaction, la laideur devient un absurde poème aux vers maudits. L'étreinte du miasme gris s'enroule autour de mes tibias, de mes bras. Bientôt je me noie dans l'océan de cendres. L'ange de la mort, le dieu de cet abîme infini, tend sa main décharnée en ma direction. Le contact de ses doigts glacés contre ma gorge aspire mes ultimes onces de chaleur. Je sens mon sang se geler, du givre se former au bout de ma langue. Dans un dernier effort, j'ose relever mes prunelles.

J'ose contempler le visage de la Mort.

Mon souffle se coupe. À quelques centimètres de moi, ce n'est point le squelette difforme d'un monstre que je trouve. Ce que je découvre, c'est les traits figés d'un jeune homme. Sa peau, plus blanche que la neige, marque la justesse de sa mâchoire taillée à la serpe. Je devine ce qui aurait pu être autrefois une invitation au péché par la forme parfaite de ses lèvres ternes et bleuies. Quant à la délicatesse de ses hautes pommettes, elles appuient l'onirisme de son regard... Son regard. Le temps s'arrête. Derrière de longs cils reposent deux iris polaires, rêveurs, qui se perdent dans un vide éthéré dont seul lui détient la clé.

Présent, mais absent. Éternité et Néant.

J'oublie qui je suis. Mon nom. Mon identité. Ma vocation. Sur l'autel de la fin, je ne désire plus que le retrouver. Lui, cet inconnu familier. Mon cœur se déchire et des larmes cristallisées par le froid me brouillent la vue. Je veux me souvenir. Je veux me rappeler où nous nous sommes rencontrés. Ce que nous avons vécu. Trop tard. Le sommeil m'entraîne dans son brouillard d'inconscience. Je lutte, en vain. Plus aucun espoir.

Je sombre.



Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.


N. A. : Aïe aïe aïe, notre protagoniste serait-elle déjà morte ?? J'en sais rien moi, je vous avoue que j'écris ce message alors que je suis au bureau en train de travailler... En tout cas, une chose est sûre : la suite nous le révèlera !

⇴ Lyria fait connaissance avec la mort dans ce chapitre. Que pensez-vous de cette première rencontre ?

⇴ Quelles sont vos théories si vous en avez déjà ?

⇴ Votre avis sur l'histoire jusqu'à présent ?

Coeur sur ceux qui voteront et laisseront un petit commentaire ♥

𝐍𝐎𝐂𝐓𝐔𝐑𝐍𝐄 ☾Où les histoires vivent. Découvrez maintenant