𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐈𝐈𝐈 - 𝐕𝐞𝐫𝐬𝐞𝐭 𝟏

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C'est lui.

L'ange de la mort.

Battement de cils. Non, ce n'est pas lui. Enfin, pas vraiment. Ses traits s'accordent avec ceux du Faucheur, mais, contrairement à au spectre, sa peau satinée regorge de vie. Au lieu d'une pâleur macabre, ses pommettes arborent un pêche délicieux. Pourtant, plus encore que sa carnation, son expression sème pour de bon la confusion dans mon esprit. Le tombeau d'émotion de sa version funèbre se remplace par un visage espiègle. Un visage humain.

La courbe de ses lèvres rosées s'ourle d'une malice tentatrice, capable de piéger celle qui s'y attarde. De folles mèches jaies caressent son front. Elles ondulent, rebelles de toute injonction, semblables aux vagues d'un océan d'encre. Leur noir profond tranche avec la clarté ambrée de son teint. Tant la justesse de chaque angle de ce portrait me subjugue que je le prends un instant pour un dieu de la nuit. Son regard en amande provoque un soubresaut dans ma poitrine. Au cœur des iris mélancoliques, un printemps déploie ses bourgeons d'un vert tendre, limpide, où subsiste un souvenir bleuté de l'hiver.

— On se connait ?

— P-pardon ? balbutié-je, tirée de ma confusion.

— Comme tu me fixais avec insistance, je me demandais, raille le grand brun.

Pensez-vous qu'il soit judicieux d'expliquer à un individu que vous venez juste de rencontrer qu'il ressemble à la créature de vos pires cauchemars ? Mon esprit tranche très vite : absolument pas. Je préfère éviter l'évocation de la déroutante coïncidence.

— Pourquoi te trouvais-tu dans ce débarras ?

— Et toi ? réplique-t-il aussitôt, ce qui a le don de m'exaspérer.

— C'est impoli de répondre à une question par une autre question.

— C'est impoli d'interroger les gens sans se présenter avant.

Je souffle du nez. Fort. Mon rival de joute verbale arque un sourcil en guise de défi. Une seconde, deux secondes. Un laps de temps s'enchaîne, durant lequel aucun de nous deux n'abdique à la confrontation silencieuse. Trois secondes. À ce rythme, nous pouvons attendre toute la journée que l'un de nous deux craque ! Au prix d'un effort colossal, j'emprunte une voie plus diplomatique.

— Lyria. Je suis arrivée à l'Arcaneum ce matin, cédé-je d'un air boudeur.

— Cassian Frey. Tu n'as pas froid aux yeux pour une nouvelle.

Son nom m'interpelle et je me souviens des exclamations de Grace, quelques heures au préalable :

« On va peut-être croiser Cassian, ici. Cas-sian ! »

Je me trouve probablement face au fameux apollon dont elle parlait. Puisqu'elle paraît bien le connaître, j'hésite à évoquer ma voisine de chambre auprès de l'intéressé.

« L'homme de ma vie, même s' il ne s'en doute pas encore. »

Je ravale prudemment l'interrogation qui roulait le long de ma langue. Taire le fanatisme de ma nouvelle amie à son sujet me paraît plus sage. Je me contente de le détailler en biais.

« Il est beau comme un dieu... Lorsque j'ai entendu qu'il effectuait ses études ici, je n'ai pas gaspillé une seconde pour m'inscrire ! »

Quelle personne sensée jetterait la pierre à Grace ? Je constate la véracité de ses propos de mes propres yeux ! Cependant, la réminiscence de sa version funèbre hante mes pensées. Un odieux frisson me sillonne l'échine au souvenir du froid liquide qui pénètre mes veines à son touché.

Soudain, je me remémore l'enveloppe cartonnée dans ma poche. Tandis que je m'interroge sur l'obscure signification d'un cauchemar, l'heure file !

— Ravie de t'avoir rencontrée, Cassian, mais je suis pressée !

𝐍𝐎𝐂𝐓𝐔𝐑𝐍𝐄 ☾Où les histoires vivent. Découvrez maintenant