*Chapitre IV

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          Le réveil est compliqué aujourd'hui, j'ai mal partout et je suis encore exténuée à cause d'hier. Il faut que je trouve un moyen de me soigner, de me remettre sur pied, sinon mon prochain jeu pourrait bien être le dernier. Il faut également que je trouve de quoi aiguiser mes couteaux, je ne veux plus jamais me retrouver dans la même situation qu'hier. Si j'ai un poid mort, je dois pouvoir m'en débarrasser. Mais chaque chose en son temps. D'abord, je dois manger. Je n'ai rien avalé hier soir en rentrant et je meurs de faim.



          Mes baskets aux pieds et mon sac sur l'épaule, je suis parée pour arpenter la ville de long en large. Je dois trouver une pierre pour aiguiser mes couteaux, et j'aimerai également trouver des commissariats ou des magasins de chasse. Peut-être qu'il y reste encore des armes.

          Je suis seule au milieu des rues, j'aime cette solitude. C'est ma meilleure amie. Elle est apaisante. Depuis mes 19 ans, j'ai toujours vécu seule. Voilà donc 6 ans que je déambule seule dans la vie. Cela ne me dérange pas, au contraire. Les 19 premières années de ma vie m'ont largement fait comprendre que cette solitude est le bien le plus précieux que je possède. Je ne veux pas le perdre.



          Petite, ma mère, une putain, m'a vendue pour quelques pièces à un riche connard. Son plaisir coupable : les femmes, jeunes, très jeunes, trop jeunes. Résultat, de mes 5 à 15 ans je me suis faite torturer par cet enfoiré et ses amis. Chez lui, j'avais aussi le rôle de bonne à tout faire.

          Seulement voilà, à mes 15 ans, quand j'ai réussi à m'enfuir avec pour objectif de revenir me venger, c'est l'armée qui est venu me cueillir. Cette ordure était célèbre, un dealeur de haut rang. Mes rêves de vengeance se sont évaporées. Seule face à l'armée, je ne pouvais rien faire. On m'a demandé de collaborer, de raconter tout ce que j'avais pu entendre, de décrire tous ceux que j'avais vu. Comme second choix, on m'a proposé la prison, pour complicité.

          Sans avoir pu réellement choisir, je suis devenue un soldat, distillant mes informations au compte-gouttes. Pendant les 3 années qui ont suivi, j'ai donc amélioré mes techniques de combat et j'ai appris à manier toutes sortes d'armes. J'ai fait de mon mieux pour me conformer à l'image du bon petit soldat qu'ils attendaient de moi. J'ai rongé mon frein pendant 3 longues années avant de réussir à m'échapper.

          J'espérais leur avoir donné suffisamment peu d'informations pour avoir le plaisir d'éliminer le dealeur qui m'avait retenue captive moi-même. Malheureusement, je n'ai pas pu avoir ce plaisir. L'armée a fini par le capturer, et après un procès, il a été emprisonné.



          Le reste de ma vie, je l'ai donc passé seule, à fuir le monde. Je me suis entraînée sans relâche, et je me suis instruite le plus que j'ai pu. Plus jamais je ne voulais me retrouver faible face à un adversaire.

          J'ai erré sans réel but pendant longtemps, me demandant ce que j'allais bien pouvoir faire de ma vie et de ma liberté. J'en ai même fini par me demander si rester en vie rimait à quelque chose. Puis un jour j'ai fini par le savoir. Ce qu'il m'était arrivé, je ne voulais pas que quelqu'un d'autre le subisse. Il en était hors de question. J'ai alors commencé à traquer toutes sortes de pourritures, me disant que je finirai bien par mourir un jour en faisant ça.

          Mais je n'ai jamais fini par mourir. J'ai survécu, seule, éliminant ordure après ordure. Les voir périr aurait dû me satisfaire, ou me rendre heureuse, ou me procurer au moins une émotion, n'importe laquelle. Mais rien, le néant absolu. J'ai continué de vivre seule, cachée du reste du monde, loin de tout humain. Jusqu'au jour où j'ai rencontré Nana.

          Elle avait tout juste 7 ans et ne savait pas comment elle s'appelait. L'unique chose qu'elle répétait en boucle c'était "Nana", donc j'ai fini par l'appeler comme ça. Elle n'avait ni famille, ni endroit où aller, je l'ai donc hébergé chez moi. Elle était mignonne, par moment elle arrivait presque à me faire sourire. J'ai eu beau éplucher les annonces de personnes disparues, personne ne l'a jamais cherché. J'ai également fait le tour des orphelinats afin de savoir si une petite fille s'était échappée ou avait fugué de l'un d'eux, sans résultat. On a donc commencé à vivre ensemble.



          Un jour, j'ai décidé de l'amener à Shibuya pour lui faire découvrir la ville et lui trouver de nouveaux vêtements. Je lui ai même offert une glace. Elle était adorable, elle s'en mettait partout en la mangeant. Puis il y a eu des feux d'artifice et trou noir. Nous nous sommes réveillées dans le Borderland, seules. Le monde qui grouillait autour de nous quelques secondes auparavant s'était volatilisé.

          Un arène de jeu a fait son apparition un peu plus loin. Je n'ai pas su la protéger, je n'ai pas su protéger Nana. Je lui avais pourtant promis qu'il ne lui arriverait rien et que je serai toujours là pour elle. Mais je n'ai pas su tenir ma promesse. C'est pour ça que je me suis imposée un planning aussi strict, c'est pour elle que je veux découvrir qui tire les ficelles. Je stopperai ce massacre, pour elle, pour Nana.

          Je ne sais pas si j'aurai le courage de survivre beaucoup plus longtemps. Je suis fatiguée, fatiguée de la vie à tout juste 25 ans. Comique non. Débusquer et assassiner le maître du jeu sera donc mon ultime mission. Après ça, j'arrête. C'est terminé.



          Quoi qu'il en soit, j'ai rempli ma mission pour aujourd'hui. J'ai trouvé quelques poignards supplémentaires, pas mal de munitions, et une pierre pour aiguiser toutes mes armes blanches. Malheureusement, je n'ai pas trouvé de nouveau pistolet, fusil ou autre arme à feu. Tant pis. Au moins, j'ai de nouvelles armes blanches et de quoi les aiguiser, c'est le principal.

          Je suis à la lisière de la forêt, au bord de l'eau, en train d'observer La Plage. Comme tous les jours, je les observe. J'espère découvrir de nouvelles informations qui m'aideraient à les éviter, mais ce n'est guère concluant. Ma seule découverte de la journée concerne l'Activiste d'hier. Et bien en réalité, ce n'est pas un Activiste. Juste un random qui s'était muni d'une arme pour se protéger lors des jeux.

          Je vais rentrer, rester plus longtemps ne m'apprendra rien de nouveau. Et j'aimerai préparer un gâteau. Demain aurait dû être l'anniversaire de Nana. Elle aurait fêté ses 8 ans. Je veux le célébrer en sa mémoire. Je sais que normalement je dois participer à un jeu demain, mais je vais faire une exception. Je ne veux pas prendre le risque de mourir le jour de sa fête, je veux le célébrer. Ce jour de repos me permettra également de récupérer un peu plus.



          Une fois rentré chez moi, je change mes bandages, me remets de la crème antidouleur un peu partout et commence la préparation du gâteau. Je n'ai jamais été une bonne cuisinière, et sans oeuf, sans lait, je sens que ça va être une catastrophe. Mais bon, ça ne coûte rien d'essayer, et comme qui dirait, c'est l'intention qui compte.

          Une fois terminé, je ne peux m'empêcher de me dire qu'il a l'air infect. Tant pis. Je vais m'étaler dans mon lit. Je ne bouge plus. J'ai mal. Mais je le mérite, je n'ai pas su la protéger. J'accueille cette douleur à bras ouverts. Des larmes commencent à couler. Je suis fatiguée, si fatiguée de lutter encore et toujours. J'ai l'impression que des années de haine, de colère, de frustration et de peine sont en train de me submerger. Ces émotions que j'avais pris soin d'étouffer à chaque fois qu'elles pointaient le bout de leur nez.

          Demain sera mon premier et dernier jour de repos avant mon sprint final, avant de débusquer et d'assassiner le maître du jeu. Une fois mort, je pourrai partir en paix, enfin...


Un nouveau départ ... CorbeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant