À la recherche du Cavalier pur jus - 2/2: Les Deux Chauves de la Montagne

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La Montagne n'était pas si haute, mais elle se reconnaissait de loin. Elle ressemblait à un immense chameau qui se serait endormi au milieu de la plaine. Drôle d'endroit pour se reposer, même pour un chameau sauvage : il n'y avait pas de lac, pas de forêt, pas le moindre monticule pour rendre le paysage un peu hospitalier ou, à défaut, moins monotone.

Comme la Montagne ressemblait à un chameau, nos trois Héros hésitèrent longuement sur l'itinéraire. On leur avait dit : « Vous les trouverez en haut de la Montagne. » S'il s'était agi d'un dromadaire, pourquoi pas. Mais un chameau ! En l'absence de signe distinctif (château, maison visible de loin, fumée s'élevant dans le ciel), les Cavaliers optèrent pour le sommet de gauche. Pour la simple et bonne raison que, de par son caractère, le Faune était fâché avec la destre.

En haut de la Montagne, ils n'aperçurent personne. Pas même un feu, une cabane, ni même une tente. Uniquement quelques arbres disposés en cercle qui avaient franchement l'air de s'emmerder.

– Fichtre, dit la Dame. Nous avons opté pour le mauvais sommet, semble-t-il.

Puis une silhouette se jeta des branches d'un chêne en criant :

– BOUH !

Nos trois amis n'étaient pas aisément surpris, mais ils sursautèrent comme un seul individu.

Le nouveau venu, ou plutôt l'occupant des lieux, était un grand homme chauve, sa cotte de mailles ouverte négligemment laissait entrevoir un torse poilu. Il tenait un lourd fléau d'armes. Même le Shadoniste estimait que c'était là un outil de bourrin.

La Dama del Sol se reprit la première :

– Moustachauve, je présume ?

– Non, Funkychauve. Pour vous servir, noble dame.

Il ponctua ses paroles d'un clin d'œil.

Les Cavaliers regardèrent autour d'eux.

– On nous a dit que vous étiez deux, dit le Shadoniste.

– Ouais, on a même monté un club, avec Moustachauve.

– Et... où est ce Moustachauve ?

– Sur le sommet d'à côté.

– Ah, fit le Shadoniste avec un sourire satisfait. Je disais bien que la bosse de droite était mieux.

Le vent apporta une voix tonitruante mais lointaine. Elle paraissait irréelle, magique, dans ce désert. C'est comme si l'Éditeur lui-même s'adressait à nos héros. Désirait-il récompenser leurs efforts et leur loyauté en daignant leur adresser la parole ?

Puis ils comprirent qu'en fait, la voix disait :

– Funky ! Qui c'est ces trois gus ?

Le chauve à la cotte de mailles débraillée se tourna vers la seconde bosse du chameau montagnard – à un demi-mille de là à vol d'oiseau –, leva ses deux mains en porte-voix et hurla :

– J'SAIS PAS ! LAISSE-MOI LE TEMPS DE LEUR POSER LA QUESTION, BORDEL !

– OK ! Tiens-moi au courant, frérot !

Funkychauve se tourna vers les Cavaliers. Il nota leur circonspection.

– On habitait sur son sommet à lui, à la base, expliqua-t-il. Mais on était un peu l'un sur l'autre, à longueur de journée, et ça m'a saoulé. J'avais besoin de prendre l'air. J'avais faim d'air, pour tout vous dire. Du coup, j'ai décidé de déménager. Ça n'empêche pas de passer une soirée chez l'un ou chez l'autre, de temps en temps.

Les Cavaliers comprenaient mieux pourquoi les autochtones les décrivaient comme deux fous. Le fléau d'armes collait bien à l'image, aussi.

– Bon, reprit Funkychauve. Mon putain de pote veut savoir qui vous êtes.

– Les trois Cavaliers de l'Éditocalypse, répondit le Faune.

– Les quoi ?

Le Dernier Shadoniste se raidit :

– Comment ça, les quoi ?

– Ben, ça veut rien dire, ça, « Apocalypse ».

Éditocalypse.

– Ouais, voilà. Bon, ça vous dit une bière ?

– Diantre, oui, répondit le Faune.

– Cool.

Funkychauve se tourna vers le sommet d'en face, d'où s'élevait, si l'on y regardait bien, une minuscule silhouette :

– FRÉROT ! ON VA SE PINTER LA GUEULE ! TU VIENS ?

– Carrément ! J'ai de l'herbe à pipe. J'en ramène ?

– ÉVIDEMMENT QUE T'EN PUTAIN DE RAMÈNES ! TU CROIS QUE JE T'INVITE GRATIS, OU QUOI ?

– Je vois ! Vénal comme ta mère.

– C'EST TA MÈRE LE VENIN... EUH, LA VÉNÈRE. ENFIN TU VOIS, QUOI !

Il se tourna vers les Cavaliers abasourdis :

– Je l'aime, ce type. C'est mon frère.

Une demi-heure plus tard, lorsque Moustachauve les rejoignit à peine essoufflé, les trois Cavaliers et leur hôte étaient déjà passablement en état d'ébriété.

Moustachauve n'avait pas démérité son nom. La première chose que l'on remarquait chez lui, à part qu'il était beaucoup, beaucoup plus grand qu'il n'y paraissait lorsqu'on le voyait de loin, c'était sa moustache. Une longue et magnifique moustache, taillée avec amour et expertise, tranchante comme un katana et droite comme un phare. Il tenait un immense bâton de magicien qui, pour l'heure, servait visiblement de bâton de randonnée. L'homme était si mince, et son bâton si grand, que par une faible luminosité on pouvait aisément confondre l'un avec l'autre.

Il était accompagné par un énorme chien ; un très énorme chien, même. Le genre que vous ne vous risqueriez pas à caresser, à regarder dans les yeux ni même à appeler « petit, petit » ; et qui, au lieu de vous ramener la baballe, est plus susceptible de vous rapporter la jambe d'un passant – et parfois le corps qui va avec.

Le petit groupe avait peut-être de l'avance en matière de bière, mais, niveau herbe à pipe, le nouveau venu avait clairement l'avantage. Et le chien n'était pas en reste.

– Cœur sur vos chèvres !

– Ce sont un lapin, un panda et une gerboise, rectifia le Faune.

– T'inquiète, mec, intervint Funkychauve. Il parle tout le temps comme ça. Il ne s'est toujours pas remis de la fois où Pulpy les a toutes bouffées, les chèvres. J'aurais jamais cru que ces connes nous manqueraient. Il est trognon comme tout, Pulpy, mais il a toujours faim.

Il caressa la tête du monstre – euh, du chien. L'animal était assez gigantesque pour servir de monture aux deux Chauves à la fois ; ce qui n'était pas peu dire lorsque l'on considérait la taille du second.

Funkychauve tendit une bière tiède à son acolyte.

– Hé, Moustache. Ces trois-là nous proposent un job assez marrant.

– Ça consiste en quoi ?

– Démolir des putains de connards.

– Cool. Ça faisait longtemps. En fait, depuis que... tu sais.

– Nous, nous ne savons pas, insinua le Faune.

Les deux Fous firent ceux qui n'avaient pas entendu.

– On avait juré de renier le reste du monde, observa Moustachauve.

Funkychauve haussa les épaules :

– Ça vaut la peine de revenir sur notre parole pour démolir des putains de connards.

– Mmmh. L'argument se tient.

– Allez, c'est réglé. (Funkychauve se tourna vers les trois voyageurs.) On commence quand ?

Et c'est ainsi que les deux Fous de la Montagne, et leur chien Pulpy, rejoignirent les trois Cavaliers de l'Éditocalypse.

– Cinq contre sept mille, médita le Dernier Shadoniste. Mettons six avec le chien. Ça va, ça s'équilibre.

Hélas, les choses ne se déroulèrent pas exactement comme prévu.

Les Cavaliers de l'ÉditocalypseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant