Chapitre IX - Une promesse faite dans le feu et la passion

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Le soleil se levait timidement, caressant du bout de ses rayons les épais nuages qui flottaient au-dessus d'Oxenfurt, apportant progressivement lumière et chaleur à l'atmosphère brumeuse qui enveloppait la ville. Les rues pavées, jonchées de perles de rosée matinale, étincelaient à chaque reflet du jour naissant, dessinant un tableau d'une beauté presque féerique. Les maisons à colombages, les ponts enjambant les multiples bras de la rivière, la mélodie du vent dans les saules, tout concourait à créer une idylle pittoresque. Mais là, nichée dans les tréfonds de la cité, se dressait une silhouette lugubre qui démentait toute apparence de sérénité. Deireadh, la redoutée forteresse-prison du royaume de Rédanie, une entité imposante qui écrasait de son ombre l'innocence alentour. Cette bastille massive, solidement gardée, dessinait dans l'espace avec ses remparts colossaux, ses tours de guet menaçantes et ses cellules labyrinthiques, une sinistre épitaphe à la liberté. La sombre silhouette de la citadelle constituait un rappel constant du sort réservé à celles et ceux qui osaient défier le pouvoir royal : l'incarcération éternelle ou la mort. Ce monument impitoyable abritait les ennemis du royaume, les traîtres et les hors-la-loi, dont le seul aperçu du monde extérieur se limitait à la lumière frileuse qui perçait à travers les meurtrières étroites et les barreaux froids de leurs cellules. Deireadh n'était pas qu'une simple forteresse, c'était une entité à part entière, respirant l'angoisse et le désespoir des âmes qu'elle gardait en cage. Une chimère qui consumait lentement l'esprit de ses captifs, les laissant vides, perdus dans un labyrinthe de désolation.

Au sein de ce labyrinthe de pierre et de fer, un homme effectuait sa ronde matinale, inspectant chaque cellule avec minutie, sa torche illuminant les couloirs sombres et humides de Deireadh. Cet homme, qui se prénommait Jakob, était de stature moyenne. Sa peau était marquée par les batailles de sa jeunesse et ses yeux sombres et perçants, constamment en mouvement, faisaient preuve d'une vigilance et d'une détermination inébranlables. Chacun de ses pas résonnait dans le silence de mort seulement rompue par les plaintes étouffées des détenus ou le grincement sinistre d'une porte en fer. Enfin, Jakob arriva devant une cellule particulière qui, à la différence des autres, n'était pas scellée par des barreaux d'acier ordinaire, mais de dymérite, un métal rare aux propriétés uniques capables de neutraliser la magie. Une cellule spécialement prévue pour une sorcière, récemment livrée par un individu qui avait laissé une empreinte profonde et glaciale dans l'esprit de Jakob. Derrière ces barreaux qui luisait d'un éclat bleuté sous la lumière vacillante portée par la torche du garde, résidait une créature d'une beauté aussi éblouissante que dangereuse. Il observa la prisonnière à travers les barreaux, un mélange de crainte et de dégoût dans les yeux. Elle était là, silencieuse et immobile, son regard améthyste semblant regarder au-delà des barreaux et des murs de sa cellule, comme si elle voyait un monde auquel Jakob ne pouvait pas accéder. Alors qu'il s'attardait devant la cellule, la lourde silhouette de son compagnon, Mads, émergea des ombres. C'était un colosse à la barbe hirsute, qui était lui aussi un vétéran aguerri. Il avait jadis troqué son épée pour un trousseau de clés car, comme il le disait lui-même, il est moins dangereux de massacrer des gens qui ne peuvent se défendre. Ses yeux perçants, cachés sous un épais sourcil, n'exprimaient rien d'autre que le sérieux de son métier. Mads se tenait à côté de Jakob, suivant son regard pour observer la sorcière. Il se racla la gorge, brisant le silence.

- Ça fait déjà un mois, et j'arrive toujours pas à m'y faire, murmura-t-il. Cette salope... c'est pas normal.

Un sourire narquois se dessina sur les lèvres de Jakob.

- Ah ouais, tu trouves ? Une sorcière dans une cellule de dymérite... C'est tout à fait normal, pour moi.

Mads lança à Jakob un regard réprobateur.

- Ce qui serait normal, c'est mon tisonnier brûlant planté au fond de sa gorge, répondit-il plein de haine. Après ce qu'elle a fait, la seule raison compréhensible de la garder en vie, serait de pouvoir la torturer jusqu'à ce que mort s'en suive.

A ces mots, le troisième garde assigné à la surveillance spéciale de la sorcière, se leva de son tabouret d'où il surveillait la cellule. Elrik était plus jeune que les deux autres, son visage lisse et sans cicatrices trahissant son inexpérience. Malgré sa jeunesse, ses yeux reflétaient une intelligence vive et curieuse.

- Ouais, j'avoue ne pas comprendre non plus, déclara Elrik, son regard posé sur le parchemin qu'il tenait. Combien de temps encore le Roi va-t-il nous imposer la vue de ce monstre ?

- Ça ne nous regarde pas, rétorqua froidement Jakob en haussant les épaules. On est là pour garder les prisonniers, pas pour comprendre les motivations du Roi.

Elrik, insatisfait, croisa les bras.

- Elle a quand même massacré un village entier, bordel ! J'y avais peut-être même un ou deux bâtards...

- T'inquiètes gamin, ses jours sont comptés, dit Jakob en regardant la sorcière de ses yeux perçant.

- J'espère bien, renchérit Elrik. Et si on voulait faire les choses bien, on ferait pareil avec l'homme qui l'a amenée ? Celui avec le grelot... Il vous a pas semblé étrange à vous ?

Jakob et Mads échangèrent un regard. Le souvenir de l'homme au grelot, son allure inquiétante, son rictus sardonique, n'avait rien perdu de son empreinte. Elle avait infiltré leurs esprits, s'était mêlée à leurs pensées, laissant une empreinte sinistre qui évoquait la peur et l'inquiétude.

- Étrange n'est pas le mot que j'aurais choisi, répondit finalement Jakob. Pour moi, ce taré a autant sa place dans cette prison que n'importe lequel de ces prisonniers.

- Dans ce cas, pourquoi t'es-tu écrasé devant lui comme un chiot sur le point de prendre sa branlée ? se moqua Mads, un sourire acerbe aux lèvres.

- Ta gueule Mads, j'ai suivi les ordres voilà tout. Tout ce que je dis, c'est que je suis bien content qu'il soit parti. Deireadh a assez de monstres comme ça.

- Ouais... Ce type... Moi aussi, j'avoue être soulagé qu'il soit parti, admit Elrik en frissonnant. Il y avait quelque chose dans son regard... Et ce sourire...

- C'est normal, tu n'es qu'un gamin. Je suis prêt à parier que tu n'as jamais vu autre fente de femme que celle d'où tu es récemment sorti.

- Ta gueule Mads ! vociféra Elrik. En plus, il n'a même pas voulu de la récompense offerte par le Roi. Bordel, mais qui fait ça ?

- Je sais pas. J'avais jamais vu quelqu'un refuser une récompense pareille, renchérit Jakob. Même la sorcière avait l'air rassurée quand il est parti. Bien, je finis ma ronde, restez vigilants.

Alors que les gardes reprenaient leurs activités respectives, la sorcière demeurait immobile dans sa cellule. Elle se souvenait d'une promesse faite dans le feu et la passion, un dernier vœu pris dans l'intensité de l'amour et l'imminence de la mort. Un serment qui, à ce moment-là, avait paru aussi ridicule qu'excessif. Mais aujourd'hui, enchaînée dans le silence de sa cellule, elle éprouvait un désir ardent de l'entendre à nouveau. Et tandis qu'elle se perdait dans ses réminiscences, un sourire mélancolique se dessina sur ses lèvres, son esprit naviguant loin de la froide cellule de Deireadh. Même dans l'obscurité de sa prison, elle portait en elle une lueur d'espoir, une étincelle qui refusait de s'éteindre. Car bien qu'enchaînée, privée de sa liberté, elle demeurait souveraine de ses pensées, et c'était là un pouvoir que personne ne pourrait jamais lui ôter.

Le Sorceleur - Le prix à payerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant