À l'heure où l'aube perçait à peine le tissu obscur de la nuit, Mère Hilda, silhouette vénérable de temps immémoriaux, se défait de l'emprise des songes. Son antique demeure, hantée tout comme elle par le poids du temps, murmurait son réveil au rythme des craquements de ses vieilles poutres et du vent contre les volets. Le coq du village, persistant dans son rituel matinal, faisait raisonner son chant qui ne manquait jamais d'irriter les oreilles de la vieille femme qui malgré les innombrables hivers qui composés sa vie, ne maquait jamais de l'irriter. Résistant à l'insistance criarde de ses articulations, Mère Hilda sortit de sa couche rustique, laissant derrière elle la chaleur des draps de paille afin de gagner la fenêtre. Ses doigts noueux écartèrent les volets vermoulus, invitant en leur modeste espace la lumière timidement naissante du jour. Le tableau s'ouvrant à ses yeux n'était autre que la familiarité décrépite de Hautbreuil, ses venelles boueuses, ses bâtisses éreintées et cette pauvreté quasi palpable, accentuée par la tragédie récente de l'incendie qui avait ravagé l'auberge du village.Faisant abstraction de ce misérable spectacle, la vieille femme revêtit sa robe élimée et son châle fatigué avant de se diriger vers sa cuisine dans l'intention de préparer son rituel quotidien : son précieux thé matinal. Au cœur d'un environnement austère, cette douce indulgence était un luxe qu'elle s'accordait sans résistance. Alors que l'eau prenait sa douce chaleur au coin du feu, la vieille femme s'échappa un instant de sa demeure pour accueillir la fraîcheur vivifiante du matin sur son visage. Et c'est lors de cet instant volé à la tranquillité, qu'un son incongru capta son attention : d'une cadence presque surnaturelle portée par le vent, un tintement métallique se fit entendre.
Émergent des écharpes brumeuses du Nord, la silhouette d'un cavalier drapée d'une cape sombre, qui semblait engloutir la lumière matinale, se dessinait progressivement. De son cou pendait un petit grelot d'argent dont le son sinistre évoquait un présage funeste. Son visage portait un sourire doux, presque réconfortant, mais ses yeux reflétaient une folie et une rage indicibles.
- Bonjour à vous, chère petite madame, déclara-t-il d'une voix mélodieuse en contraste criant avec l'aura malfaisante qu'il dégageait. Votre charmant petit village aurait-il une auberge où je pourrais me reposer et prendre un repas chaud ?
Mère Hilda, pour toute sa longue vie et sa sagesse, ne put réprimer un frisson d'appréhension devant cet homme inquiétant. Même si son instinct lui criait de se méfier, la courtoisie, malgré tout, l'emporta.
- L'auberge ? murmura-t-elle, le regard fixé sur l'étranger. Elle n'est plus, emportée par les flammes il y a quelques jours.
A ces mots, surprise et déception traversèrent le regard de l'homme, bien que son sourire resta étrangement serein.
- Quelle tragédie. Quel fût l'évènement à l'origine de ce désastre, si je puis me permettre ?
- Un sorceleur est passé par ici voilà quelques jours, confessa Mère Hilda, sa voix tremblante trahissant l'appréhension qui l'étreignait. Nous n'avons récolté que malheur de son passage.
- Un sorceleur, dites-vous ? questionna l'homme soudainement intéressé. Mon travail consiste justement à débarrasser les honnêtes gens des êtres malfaisants qui ne répandent que mort et désolation sur leur passage. Je pourrais vous débarrasser de lui moyennant quelques pièces d'or.
- Si seulement c'était possible, dit-elle autant intéressée qu'apeurée. Mais Hautbreuil n'est qu'un tout petit village, très pauvre. Nous n'avons pas grand-chose à offrir en échange de vos services.
L'homme au grelot inclina la tête en signe de compréhension.
- Je ne demande qu'une modeste compensation. Mais si l'argent vous fait défaut, je pourrais consentir à une autre forme de rétribution, proposa-t-il, son sourire s'élargissant de manière macabre.
La vieille femme se sentit glacée d'effroi. Elle ne désirait plus que mettre un terme à cette conversation cauchemardesque et retourner à la sécurité toute relative de sa demeure. Devant la folie qui étincelait dans le regard de cet homme, Mère Hilda ne pouvait qu'acquiescer, plus aucun son ne parvenant à sortir de sa bouche.
- Bien sûr, je préfère être payé d'avance, poursuivit-il, son sourire s'élargissant encore d'une manière toujours plus horrible. C'est une des règles que j'impose à chacun de mes clients, et croyez-moi, le travail est toujours fait, poursuivit-il tout en avançant vers la vieille femme.
La distance entre eux diminuait à chaque pas, et le froid de l'effroi s'insinuait dans chaque fibre du corps de la vieille femme. La cadence du grelot résonnait comme un tambour, rythmant l'avancée lugubre de l'homme qui se rapprochait toujours plus. Mère Hilda, paralysée par la peur, ne pouvait que reculer, son dos finissant par heurter la porte de sa demeure. L'homme, quant à lui, ne cessa de sourire, ses yeux brillant d'une lueur malsaine.
...
Dans sa petite chaumière miteuse, le thé qu'elle avait préparé avec tant de soin continuait à infuser, le parfum doux et réconfortant se mêlant à la tension palpable qui flottait dans l'air. Bien qu'il eût été destiné à être bu avec calme et sérénité, en ce jour, il resterait sur le feu, oublié, tel un bol de réconfort qui ne serait jamais bu. Et alors que les habitants d'Hautbreuil dormaient encore, un homme quittait le village tel un fantôme, son grelot rythmant le pas de son cheval maigre dont la robe grise était dorénavant tintée de rouge.
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Le Sorceleur - Le prix à payer
FantasíaAu cœur des terres désolées de Velen, ravagées par les affres de la guerre, Geralt de Riv, le sorceleur, se retrouve à nouveau pris dans les mâchoires impitoyables du destin. Chargé du fardeau de défendre les plus vulnérables et de chasser les ténèb...