Chapitre XXVII - Chaque rencontre a un sens

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La silhouette élancée de Régis, drapée dans la douce lumière tamisée de la forêt, était assise sur le tronc robuste d'un chêne abattu par le temps. Sa posture évoquait la sérénité d'un ermite plongé dans une méditation profonde, son regard fixé sur un miroir ancien et mystérieux dont les profondeurs abritaient une réalité qui défiait toute logique. L'objet était déconcertant dans le sens où son existence même semblait contredire les lois de la nature. Il s'agissait, à n'en point douter, d'un artefact puissant qui, selon les Moires elles-mêmes, pouvait retenir prisonniers d'innombrables êtres. Bien que Kavka, se disait Régis, avait proclamé qu'aucune tentative de libération ne pouvait aboutir, il n'était pas du genre à abandonner devant un défi, aussi insurmontable soit-il.

Portant le poids de plusieurs siècles sur ses épaules, le vampire avait été témoin de l'émergence et de la chute de nombreuses civilisations, de l'évolution de la magie et de la naissance de créatures autrefois impensables. Cette perspective unique avait nourri en lui une curiosité insatiable et une soif d'apprentissage qui le poussaient à réfléchir au-delà des limites conventionnelles. En observant le miroir, Régis fouilla les recoins de sa mémoire. Il évoqua les légendes de sa jeunesse, les mythes des temps immémoriaux et ses propres expériences passées pour essayer de comprendre le fonctionnement de cet objet énigmatique. Sa réflexion l'entraîna dans un labyrinthe de conjectures et de suppositions qui, jusqu'à présent, n'avaient encore abouti à aucun résultat fructueux.

C'est alors que, son esprit vagabondant dans un paysage de souvenirs anciens, qu'une pensée soudaine en éclaira le chemin. Un souvenir, lointain, presque oublié, qui surgit comme une étincelle dans l'obscurité. Une fable destinée à effrayer les enfants qu'il avait entendu pendant sa jeunesse. Ce conte parlait d'un pauvre homme n'ayant pour seule possession que le miroir offert par sa défunte femme. Régis avait toujours trouvé la fin de ce conte étrange, même si une sorte de morale pouvait s'en dégager, il lui avait toujours semblait qu'il était plus profond que ce qu'il paraissait. Tout comme dans ce conte, le petit miroir qu'il tenait dans ses mains semblait capable d'absorber l'essence même des êtres qui le possède et de les retenir dans ses profondeurs. Un sourire se dessina sur son visage pâle, enfin il tenait un début de piste. Alors que des pensées complexes et audacieuses commençaient à se former dans son esprit, il se mit à murmurer doucement, parlant plus à lui-même qu'à quiconque :

- Et si la véritable clé de ce miroir résidait, non pas dans la force brute, mais dans l'harmonie des âmes ? Qu'en serait-il si le miroir répondait à cette résonance, à leur potentielle symphonie ? Peut-être... peut-être pouvons-nous encore sauver tous ces gens... Peut-être y-a-t-il encore un espoir pour ces enfants, se dit-il en souriant lorsque cette idée, à la fois abstraite et tangible pour un vampire centenaire comme lui, lui traversa l'esprit.

Régis s'arrêta, son attention détournée par un son qui s'insinuait doucement dans le silence de la forêt. Il était là depuis un moment, un tintement presque imperceptible, comme le murmure d'un secret dans le vent que le vampire, grâce à son ouïe sur-développée, avait entendu sans y prêter attention tant il était absorbé par les mystères du miroir. Mais à présent, il ne pouvait l'ignorer. Ce son étranger, déplacé, un grelot qui résonnait comme le présage inquiétant d'une rencontre inattendue. Intrigué, Régis tourna son regard vers la source du bruit. C'est alors qu'une odeur douce, enivrante, vint lui chatouiller les narines. Le parfum du sang... Une odeur qu'il n'avait pas sentie depuis des lustres, une odeur qu'il avait apprise à éviter. Cette senteur, malgré sa douceur, éveilla en lui des instincts qu'il avait juré de maîtriser. Luttant contre lui-même, Régis entendit le tintement se rapprocher, de plus en plus fort, au même titre que l'odeur du sang prenait le pas sur toutes les autres senteurs qui l'entourait. Au bout de quelques minutes, qui parurent au vampire une éternité, un homme apparut à l'orée de la forêt, un grelot autour du cou tintant à chaque pas de sa monture. Il chevauchait un cheval de couleur pâle, et portait une vieille cape noire élimée par le temps. Quant à son sourire, gigantesque et malsain, il fendait son visage en deux, révélant des dents blanches et parfaitement alignées.

- Dame la nuit sera bien belle ce soir, n'est-ce pas ? commença l'étranger d'une voix douce et aimable mais qui portait en elle un léger trémolo qui trahissait une joie malsaine. Pardonnez mon intrusion, monsieur...

- Régis, répondit le vampire, son regard passant de l'homme à son sac ensanglanté. L'odeur du sang était plus forte maintenant, presque écrasante. A qui ai-je l'honneur de m'adresser ?

- J'ai bien des noms très chers, d'aucun me nomme l'Homme au grelot, répondit l'étranger avec un sourire qui semblait s'élargir. Je me promenais dans les environs lorsque je suis tombé sur vous. Dites-moi, que fait un homme de votre stature dans un endroit aussi éloigné ?

Régis eut un léger rire.

- Je pourrais vous retourner la question, monsieur l'Homme au grelot. Mais je crains que nous dérivions du sujet principal.

- Qui serait... ? demanda l'homme toujours perché sur son cheval pâle.

- Que voulez-vous vraiment ?

L'homme au grelot haussa les épaules, tout en continuant de sourire.

- Rien de plus que faire connaissance, mon cher Régis. Après tout, ne dit-on pas que le monde est plein de mystères et que chaque rencontre a un sens ?

Régis sentit une goutte de sueur perler sur son front. L'odeur du sang devenait de plus en plus intense, ses sens aiguisés n'arrivaient pas à l'ignorer. Ses instincts primaires étaient mis à rude épreuve dans une bataille qu'il devait absolument gagner.

- En effet, chaque rencontre a un sens, dit-il, forçant un sourire sur son visage. Et j'ai bien hâte de découvrir le sens de la nôtre.

- Moi de même, répondit-il affublé d'un sourire de plus en plus inquiétant.

Le silence s'installa entre eux, le tintement régulier du grelot de l'homme étant le seul son rompant la quiétude de la forêt. Les yeux de Régis étaient fixés sur le sac ensanglanté, chaque battement de son cœur résonnait avec une odeur qui le faisait tournoyer dans un vortex de désirs sauvages. Il serra les poings, les ongles s'enfonçant dans la paume de sa main. Il fallait rester calme.

L'homme au grelot rompit le silence, sa voix était une mélodie malsaine qui caressait l'air.

- Vous permettez ? dit-il en se tournant vers Régis, ses yeux pétillant d'une joie insensée.

- Je vous en prie, répondit Régis, cherchant à contrôler le tremblement de sa voix.

L'homme descendit de cheval avec une grâce terrifiante, comme s'il était un prédateur se mouvant dans son domaine. Malgré son sourire amical, il y avait quelque chose de menaçant dans sa démarche, une promesse silencieuse de violence et de mort qui mettait tous les sens de Régis en alerte.

- Dites-moi, mon ami, commença-t-il, son sourire s'élargissant encore, n'auriez-vous pas, par hasard, croisé un Sorceleur ?

- Un Sorceleur ? demanda le vampire en feignant la surprise aussi bien qu'il le pouvait dans ces circonstances.

- C'est cela, confirma l'homme au grelot, un certain Geralt de Riv, pour être plus précis.

- Cela ne me dit rien, je le crains, répondit Régis qui avait de plus en plus de mal à lutter contre ses envies de sang.

- Quel dommage... Eh bien tant pis, la fortune ne peut pas toujours sourire, répliqua l'homme avec une nonchalance feinte.

- En effet, la chance est une compagne capricieuse, répondit le vampire en nage dans son effort d'abstinence.

- Eh bien, si le sens de notre rencontre n'est pas l'acquisition de précieuses informations, peut-être se trouve-t-il dans le partage d'un repas ? Qu'en dites-vous, Régis ?

- Je crains, malheureusement, de devoir décliner, répondit Régis. Bien que votre compagnie soit certainement des plus divertissantes, je dois admettre que j'éprouve un certain manque d'appétit en ce moment.

Les yeux de l'Homme au grelot brillaient d'un intérêt malveillant alors qu'il fixait Régis avec une intensité qui faisait froid dans le dos.

- Moi, je suis affamé... dit-il d'un sourire carnassier.

Le Sorceleur - Le prix à payerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant