Chapitre XVII - ...et voici, parut un cheval d'une couleur pâle

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La voûte céleste grise et menaçante pendait au-dessus d'Eldor, promettant une journée aussi rude que son voyage jusqu'ici. Néanmoins, cet homme de stature trapue, à la chevelure hirsute roux feu et à la barbe touffue, ne se laissait pas démonter. Guidant sa carriole vers le Nord, le marchand ambulant aguerri se frayait un passage sur les sentiers humides et escarpés de Velen, tirant un effort considérable de sa bête de trait pour éviter l'embourbement des roues de sa charrette. Ce voyageur solitaire aux yeux de mer agitée, semblait aussi robuste que le chêne millénaire, mais portait en lui la douceur du saule pleureur. Les sillons de son visage racontaient des récits silencieux d'années passées à parcourir les routes, bravant des dangers sans nombre pour gagner sa vie. Au gré de ces routes interminables, le souvenir de sa famille qui l'attendait chez eux, à Zgraggen, réchauffait son cœur malgré le froid mordant porté par le vent. Le rire de son plus jeune fils résonnait en lui comme une mélodie enjouée, tandis que la tendre étreinte de sa femme lui procurait un réconfort imaginaire contre la morsure du froid. Son aîné, bon boulanger en herbe, avait un talent certain pour le pain, dont le parfum savoureux persistait encore dans son esprit. Ces souvenirs, aussi anodins soient-ils, brillaient dans l'obscurité de son isolement comme des astres dans une nuit sans lune.

Alors que ses pensées vagabondaient entre sa famille et les joies et peines de son métier, un tintement inhabituel le tira de ses rêveries. C'était un son étrange et déplacé, un tintement de grelot qui flottait vers lui depuis l'avant. Le cœur d'Eldor se contracta, sa main se crispant sur la poignée de son épée, toujours à portée. Au détour du chemin, le marchand regardait, et voici, parut un cheval d'une couleur pale. Celui qui le montait portait une cape noire élimée par les mites et, autour de son cou pendait un grelot qui tintait à chaque pas lourd de sa monture. L'étranger affichait un sourire doux et presque rassurant, mais ses yeux étincelaient d'une lueur qui mit immédiatement Eldor mal à l'aise.

- Bonjour, voyageur, déclara-t-il d'une voix douce, mais froide comme la glace. Pourriez-vous me dire quelle distance me sépare encore de Méandres ?

Eldor, malgré l'inquiétude qui nouait son estomac, répondit avec une assurance feinte.

- Il vous reste moins d'une journée de marche messire, si les bêtes sauvages qui pullulent dans la région vous laisse en paix, répondit-il tout en espérant se débarrasser au plus vite de cet homme effrayant.

Cet étranger, bien qu'apparemment inoffensif, dégageait une aura que son instinct lui intimait de craindre. Il choisit toutefois de faire face, sachant que ce n'était pas le premier défi que ces routes lui présentaient.

- Bien, il semblerait que j'ai progressé plus vite que je ne l'escomptais, répondit l'homme au grelot, un étrange sourire se dessinant sur ses lèvres. Peut-être pourriez-vous me renseigner, brave marchand. Je suis à la recherche d'un Sorceleur. Si mes informations sont exactes, il se dirigeait en direction de Méandres, peut-être l'auriez-vous croisé sur votre chemin.

- En effet, je l'ai croisé voilà quelques jours, il était accompagné d'un homme et voyageait en direction de Méandres. Le marchand garda la présence d'un oiseau parleur pour lui, craignant que l'étranger pense qu'il se moque de lui.

- Il semblerait que la chance continue de me sourire. Pouvez-vous me confirmer qu'il se dirigeait vers le village de Méandres ?

- Il s'y dirigeait en effet, peut-être aura-t-il fait un détour cependant... balbutia le marchand qui venait de remarquer un sac en toile suspendu au flanc du cheval de son interlocuteur. Le sac, comme le pelage de l'animal sur lequel il reposait, était tâché de noir, un noir semblable à la couleur que prend le sang lorsqu'il se dessèche.

- Ah oui ? Que voulez-vous dire ?

- Eh bien, il se pourrait que j'ai évoqué en sa présence l'apparition récente d'un monstre sur l'île de Fyke.

- Ah, ça c'est intéressant. Je vous remercie pour toutes ces informations, dit l'homme au grelot dont le sourire ne cessait de s'élargir.

...

En reprenant sa route vers le Sud, l'homme, dont le grelot marquait indubitablement chaque pas de son cheval, affichait toujours un sourire radieux. Son sac ballottant de nouveau au-dessus de la tache noire, redevenue rouge vif, qui marquait le flanc de son cheval.

Le Sorceleur - Le prix à payerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant