- chapitre 11 -

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Personne ne doit le savoir. Je viens de briser ma promesse.

Son nom tombe tel le lourd cadenas d'une porte. Je me sens à la fois soulagé et anxieux, comme un criminel attendant sa sentence. Le silence est trop long, je me risque à lever les yeux vers lui.

Son regard est perdu dans le vide. Ses sourcils bougent comme s'ils posaient des questions. Lentement, sa tête acquiesce. Il semble perdu dans ses réflexions. J'ai l'impression de lui avoir parlé d'une équation du second degré.

« Réagis s'il te plait. C'est de la torture là.

— ... Vous, commence-t-il. Comment dire... Vous sortez ensemble ?

— Non.

— D'accord, dit-il d'un air pensif. »

Non. Jamais je ne pourrais l'envisager. Jamais je ne pourrais lui dire. Je dois seulement m'y habituer et faire en sorte de ne pas perturber l'équipe.

« Est-ce que ça te dégoute ? Est-ce que je te dégoute ? dis-je d'une petite voix.

— Pas vraiment. J'avoue que ça m'a surpris d'abord, mais ça n'a pas dû être facile pour toi : déjà de réaliser que tu l'aimes, j'imagine, puis de me le dire.

— Merci. »

Sa réponse me réchauffe le cœur. Lui avouer mes sentiments pour Daichi semble avoir rendu les choses plus réelles. Il n'y a plus de retour arrière à présent, je l'aime. Mais la situation n'est pas plus facile, plus personne ne doit savoir ou nous pouvons dire adieu au tournoi national, à cause de moi.

« Ne le dis à personne s'il te plait. De mon côté, je ferais en sorte que ça n'affecte pas notre jeu.

— Bien sur. »

Lentement, nous nous relevons. Il est temps de reprendre l'entrainement avant que les autres trouvent notre absence louche. Une fois à l'intérieur, je m'empresse d'attraper un ballon. Je ne veux plus penser à ce qu'il s'est passé, ce qui importe maintenant c'est que Nishinoya maîtrise les passes.

Les vestiaires sont quasiment vide. Je ne me presse pas, espérant sortir après tout le monde. Un à un, mes coéquipiers partent. A la fin, il ne reste plus que Daichi et moi. Secrètement j'espère qu'il ne m'attendra pas mais lorsque je le vois se tenir devant la porte, je n'ai plus d'autre choix. Nos regards se croisent. Un doux sourire se dessine sur ses lèvres, par réflexe, je lui renvoie.

Dehors, nous parlons du camp d'entrainement qui approche. Tout le monde a hâte d'y être, nous les premiers, notre rêve d'atteindre le terrain orange devient peu à peu réalité. Mais au détour de la conversation, la question que je redoutais arrive.

« Au fait, de quoi parliez-vous avec Nishinoya tout à l'heure ? demande-t-il d'un air détaché

— Rien de spécial, dis-je cherchant à esquiver le sujet.

— Tu avais les yeux rouges en revenant, il t'a fait pleurer ?

— Moi pleurer ? Tu m'as déjà vu pleurer ? Il pensait que j'étais un peu stressé à cause du camp d'entrainement, c'est tout. »

Il acquiesce. Ma réponse semble lui suffire. De toute façon il n'en saura pas plus. Il ne doit pas savoir.

Depuis ce jour, la semaine s'est écoulée sans encombre. L'attitude de Nishinoya n'a pas changé envers moi et il ne m'a pas posé plus de questions. Cependant je ne peux m'empêcher de me dire qu'il sait. Et cette idée me hante comme si une épée de Damoclès se tenait au dessus de moi. Quelque part, rien ne le retient, mon secret pourrait être dévoilé à tout moment.

Mais tout ces doutes ne me mèneront à rien. Ce ne sont que des pensées encombrantes en plus. Je ne dois pas entraver l'équipe à cause de ces sentiments. Je dois regarder devant moi et, pour l'instant, le camp d'entrainement est la prochaine étape.

Les rayons du soleil percent à peine les derniers nuages de la nuit. Nous sommes tous réunis devant les bâtiments de l'école. Il est temps de partir pour Tokyo. Certains ont du mal à garder les yeux ouverts, d'autres attendent impatiemment d'entrer dans le bus pour finir leur nuit.

Après avoir vérifié les équipements, il est temps pour moi de rejoindre ma place. Je pense que je vais rattraper quelque heures de sommeil moi aussi. Lorsque la voiture démarre, je laisse le ronronnement du moteur me bercer et mes yeux se ferment.

La lumière du soleil vient chatouiller mes paupières. Nous devons être à la moitié du trajet. Je regarde le paysage, mais celui-ci défile trop vite pour moi. Il me faut du temps avant d'émerger complètement de ma somnolence. Mes yeux balayent les alentours. Beaucoup sont encore plongés dans un sommeil profond. Ce n'est pas le cas de Daichi. Confortablement installé à côté de moi, ses doigts jouent le rythme de la musique qu'il écoute. Je lève mes yeux vers les siens.

« Tu veux écouter ? me lance-t-il, son écouteur pointé vers moi »

Je hausse les épaules. Pourquoi pas après tout, le temps passera plus vite. Sa musique n'est pas trop mal, tout se ressemble et est unique à la fois. Les instruments jouent une musique douce et harmonieuse. Après quelques morceaux, il jette un coup d'œil, sans doute pour voir le prochain titre.

« Celle-ci, à chaque fois que je l'écoute je pense à toi, articule-t-il »

Mon cœur accélère. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Cette fois, je n'écoute pas d'une oreille distraite. Dès les premières secondes, les poils de ma peau se hérissent. On entend d'abord les notes répétitives d'une guitare puis une voix lointaine et éthérée se joint à la mélodie. Elle m'emporte dans un univers imaginaire et infini. J'ai l'impression qu'il n'y a plus que cette musique et moi. Je pourrais l'écouter sans cesse.

Lentement mes yeux se ferment. Je nous imagine, Daichi et moi, dansant sous un ciel étoilé au rythme de cette musique. Sentir la chaleur de son corps contre le mien, la pression de ses bras autour de moi, les battements de son cœur faisant écho aux miens. Un doux poison...

Seulement, tout cela est impossible. Cette scène n'existera que dans mon imagination. Alors la musique se termine et je m'empresse d'oublier cette illusion.

My sweet poisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant