- chapitre 9 -

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C'est impossible. Impossible. Je me trompe. Je dois me tromper. Voilà à quoi se résument mes réflexions nocturnes. J'ai toujours pensé que cela ne pouvait arriver qu'aux autres. Alors pourquoi moi ? Pourquoi lui ?

Je ne peux pas avoir la même attirance pour lui que pour une fille. Certes mon expérience est limitée mais elle peut me conforter dans ma position. Après tout, je ne suis sorti qu'avec des filles. Je n'ai jamais rien ressenti de tel avant. Je n'ai qu'à laisser le temps passer et tout s'arrangera. C'est seulement un ami. Rien de plus.

Alors les jours passent et à chaque fois je repousse cette pensée. Les entrainements sont difficiles, nous n'arrivons pas à nous synchroniser. Le coach nous rappelle régulièrement les différents tempos d'une attaque et nous tentons, tant bien que mal, d'y penser. De temps à autres, j'aide Nishinoya à faire des passes, il a encore du mal à sauter avant la ligne mais apprend vite.

Après avoir rangé le gymnase, je me dirige vers les vestiaires. Je ne sens plus une once d'énergie dans mon corps. De loin, j'entend l'appel de mon oreiller, à moins que ce ne soit moi qui l'appelle...

Je rassemble mes affaires lorsque la porte s'ouvre. Daichi entre. Tout le monde est déjà parti et je m'apprête à faire de même.

« Ah, Suga ! Tu peux m'attendre s'il te plaît ? Je me dépêche. »

Je n'ai pas le temps de répliquer. Ce serait étrange de ma part de refuser, alors j'attend.

Je l'observe et, comme toujours, je constate la même chose. Il est beau. Je n'ai plus assez de force pour me battre contre mes propres pensées.

Nous quittons le lycée ensemble. Aucun de nous deux n'ose prendre la parole. Il sourit comme toujours. Ses yeux balaient le paysage plongé dans la nuit. D'habitude, il n'est pas difficile de trouver un sujet de conversation, mais un malaise pesant est installé entre nous. Je suis incapable de trouver les mots. Qui brisera le silence en premier ? On dirait presque un concours.

J'essaie de me faire le plus discret et le plus invisible possible, mais Daichi en décide autrement :

« Tu vas bien ? me glisse-t-il, l'air inquiet

— Comme toujours, pourquoi ?

— Rien, désolé... »

Le silence retombe. Ses mains s'agitent. Elles jouent avec les fermetures-éclair et les manches de la veste, tout ce qui a une texture particulière. J'attend qu'il prenne la parole.

« En fait, commence-t-il. J'ai l'impression un peu bizarre que tu m'évites ces derniers temps. Est-ce que j'aurais dit ou fais quelque chose qu'il ne fallait pas ? »

Je rêve. Même dans une situation pareille il pense être fautif. Je m'en veux de ne pas avoir su agir normalement. Il faut que je me rattrape.

« Non, non. Ce n'est pas ta faute, c'est moi.

— Si tu veux en parler, je suis là. Tu n'es pas obligé de te sentir responsable de tout, toi non plus. »

Cette phrase agit comme une aiguille dans mon cœur. Je lui souris. Ses yeux me dévisagent un moment et le coin de ses lèvres s'étire. De nouveau, des papillons s'éveillent en moi. Ils volent dans tout les sens. Les battements de mon cœur s'accélèrent.

Pourquoi ?

Je détourne le regard. Heureusement, j'aperçois ma maison au bout de la rue. J'articule un au revoir confus et me dépêche d'entrer, le laissant en plan dans la rue.

La soirée est longue. Dès que j'en ai l'occasion, je m'échappe dans ma chambre. Ma tête explose de pensées. Pourquoi est-ce que je réagis comme ça ? Je ne peux pas. Je ne peux pas l'aimer comme ça. Ce n'est pas normal. Je ne suis pas normal.

Mais qu'est-ce que je suis bien quand je suis avec lui. Quand tout semble s'illuminer, se colorer. Qu'est-ce que j'aime quand il pose ses yeux sur moi. Quand le monde entier disparait et que j'ai l'impression d'exister pour lui.

Ai-je le droit de ressentir cela ? Ai-je le droit de le penser ? De penser à lui ?

Je crois bien qu'une flèche empoisonnée m'a touché. Je crois bien que je l'aime. Mais personne ne doit le savoir. Quel doux poison...

My sweet poisonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant