chapitre six

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Evan



Pour Evan, il n'y avait rien de plus frustrant que d'être ouvertement gay dans un cercle de personnes heteros. Bien qu'ils soient très ouverts d'esprit, ses amis ne comprendraient jamais réellement. Il n'osait jamais leur partager ses expériences, ses peurs, ses doutes ou ses envies. Il se contentait d'affirmer que tout allait bien et que non, William, personne n'avait encore volé son cœur. Il écoutait sans grand intérêt les aventures de ses amis, fructueuses ou non. Alors qu'il était entouré, Evan se sentait constamment seul. Ce sentiment n'avait fait qu'accroître quand, il y a quelques années, il avait réalisé ses sentiments divergents pour l'un de ses meilleurs amis. Depuis, sa relation avec Luke s'était rapidement détériorée. Prenant de la distance pour se prononcer d'un cœur brisé, Evan avait sans le vouloir mis terme à l'une de ses plus anciennes amitiés. Au départ, tout était comme avant. Ils discutaient régulièrement, sortaient prendre des verres et passaient des heures à la bibliothèques avant les sessions. Cependant, plus les sentiments d'Evan grandissaient, plus il se réfugiait dans sa solitude. Aujourd'hui, il ne supportait même plus de croiser le regard de l'homme qui fut un jour son meilleur ami. Quelle ne fut pas sa surprise quand il le trouva sur le pas de sa porte, poing en l'air près à toquer, trempé par l'orage qui grondait.

« Luke, constata Evan ;
- Evan, répondit Luke avec un rictus aux lèvres. »

Evan le dévisageait, complètement décontenancé. Ils ne s'étaient pas croisés depuis des mois, depuis la fin de l'année scolaire.

« Je peux entrer ?, demanda timidement le jeune homme qui lui faisait face ;
- Oui, oui. Pardon, vas-y entre bien sûr. Tu dois être mort de froid. »

Ils s'installèrent tous les deux sur le canapé du salon, aussi éloignés qu'il puisse le permettre.

« Hum, tu veux quelque chose pour te réchauffer ? Une serviette ? Un pull ? Un thé peut-être ?
- Je veux bien un pull, si ça ne te dérange pas, répondit Luke. Et un thé ne me tuerait pas.
- Ok, super. J'arrive. Ne bouge pas. »

Il revint quelques minutes plus tard, un sweat menaçant de glisser de son épaule et une tasse fumante dans la main.

« Je suis désolé, on avait plus que du thé vert, ça ira ?, demanda-t-il en les tendant à son ami ;
- C'est parfait. »

Le silence retomba. Pesant, intense. Luke sirotait doucement son thé, cherchant désespérément le regard d'Evan à travers ses lunettes trempées. Ce dernier s'amusait à compter les imperfections du parquet. Il était à quarante-deux quand les escaliers grincèrent. Anastasia déboula dans la pièce, musique à fond dans les oreilles. Elle ne sembla pas les remarquer, filant directement vers la cuisine, chantonnant doucement. Deux semaines après son arrivée, elle semblait plus à l'aise que jamais.

« C'est qui ?
- Anastasia, la fille de Christian.
- Ah oui, la fameuse ! Will m'en a parlé.
- Will t'a parlé d'elle ?
- Ouais, ils se seraient parlés au mariage.
- Ah. »

Un nouveau silence.
Evan poussa un soupir de soulagement quand Anastasia sortit de la cuisine et les remarqua enfin. Elle baissa son casque, tartine à moitié mangée en main.

« Pardon ! Je vous avais pas vu. »

Elle tendit sa main libre à Luke.

« Anastasia ! Mais tu peux m'appeler Ana.
- Luke, dit-il en serrant sa main tendue ;
- Tu es un ami d'Evan ?
- Aux dernières nouvelles. »

Evan n'osait pas les regarder, trop peureux de ce qu'il pourrait trouver sur leur visage.

« C'est dingue, à peine un mois que je suis dans ce pays et j'ai déjà rencontré la plupart de tes amis, dit-elle à Evan ;
- Hum.
- Tu connais Will aussi ?, demanda-t-elle à Luke ;
- On peut dire qu'on fonctionne par trois. »

Elle hocha la tête, un air compréhensif au visage.

« Tu veux quelque chose pour essuyer tes lunettes ? Mon père doit avoir ça dans son bureau attends, dit-elle en disparaissant derrière une grande porte en bois ;
- Elle a l'air sympa, constata son ami. »

Evan n'eut pas le temps de répondre, Anastasia revenait déjà avec un petit bout de tissu en main.

« Tiens, garde-le. Il en a des centaines il verra pas la différence.
- Merci beaucoup c'est très gentil. »

Elle leur offrit un sourire.

« J'imagine que je dérange, je vais remonter. »

Le jeune blond devenait un peu plus anxieux à chaque marche que montait la petite brune. Une fois définitivement seuls, Luke déposa d'un geste brusque sa tasse sur la table.

« Ça fait des mois que j'essaye de comprendre, et je sais que tu ne me donneras jamais d'explication mais voilà, je commence à en avoir marre de cette situation, commença Luke. Tu me manques, Evan. »

Ce dernier ne savait plus où se mettre. Alors que son ami attendait une réponse, n'importe quoi, il jouait avec les manches de son pull en laine.

« Je sais pas trop quoi te dire, répondit-il simplement ;
- Dis-moi au moins ce que j'ai fait de mal.
- Tu.. »

Avant qu'il ne puisse répondre, le bruit reconnaissable de clés se fit entendre avant que la porte ne s'ouvre d'un coup sec. Christian et sa mère pénètrent dans la pièce en gloussant, se tenant la main comme deux collégiens. Ils s'embrassèrent passionnément avant qu'Evan ne se racle la gorge, très embarrassé.

« Oh, mon soleil, remarqua Eleanor, et Luke ! Comment tu vas, mon grand ? Ça fait longtemps qu'on ne t'a pas vu ici.
- Ça va, et j'ai l'impression que ça a l'air d'aller très bien pour toi aussi, rit-il en désignant Christian ;
- Je suis sur un petit nuage, sourit-elle en regardant son mari. Il commence à se faire tard et la pluie n'est pas prête de se calmer, tu veux rester dîner ?
- Mamoune je n'sais si-, commença Evan ;
- J'en serai ravi, l'interrompit Luke. »

Le blond poussa un discret soupir, passant sa main sur son visage. Il hocha simplement la tête, décrochant un petit cri de joie à sa mère.
S'en suivit, selon lui, le dîner le plus long et douloureux de la vie d'Evan. Luke entre lui et Anastasia, il se trouvait désormais au centre de toutes les attentions. Il était assailli de questions sur ses études, sa famille, son travail, parfois même son chien.
Evan percevait ce repas comme une séance accrue de torture. Il lui était arrivé de rêver à des scénarios similaires dans lesquels il ne présentait plus Luke comme son ami mais bien plus que ça. Il avait fallu qu'il ait tout gâché.

      Luke n'était parti que plusieurs heures plus tard, le ventre plein et le temps clair. Evan s'était alors mollement laissé tomber sur son lit, tête la première dans son oreiller. Le regard plein d'émotions de son ami lui tournait en boucle dans la tête, comme un vieux disque rayé dont on n'arrive pas à se débarrasser. Il était complètement et entièrement foutu.

La réussite des astresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant