chapitre dix-sept

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Anastasia



      Maman, maman, maman.
Pour la première fois depuis un mois, Anastasia se sentait vide. Les examens passés, elle n'avait plus aucune distraction. Ses pensées tourbillonnaient à une vitesse fulgurante. Toute son insécurité passée revenait au galop. Sa mère, les études, William.
Elle l'avait senti venir. Elle n'acceptait plus de se regarder dans le miroir depuis quelques jours. Elle sautait des repas, manquait cruellement d'appétit. Elle ne dormait plus. Elle avait tenté de remettre la faute sur les examens, mais elle n'était pas dupe. Elle la connaissant très bien, trop bien, cette sensation. Elles se retrouvaient chaque année comme de vieilles amies. Un rendez-vous automatique. Elle trouvait un certain confort dans ce vide. Il lui manquait par moments.

Anastasia regarda l'heure. Minuit. Quatre ans. Elle appuya ses paumes sur ses yeux, espérant faire disparaître la nausée qui venait de s'installer. Assise par terre, elle profitait de la température du sol pour rester sur terre. Elle entendit un bruit dans le couloir, à peine audible. Curieuse, elle se leva, épousseta son bas de pyjama et ouvrit précautionneusement sa porte. La brune tomba nez à nez avec son père. Cheveux en pagaille, yeux gonflés et mains tremblantes. Ils se regardèrent quelques instants, comme appréhendant la réaction de l'autre. Christian ouvrit finalement doucement ses bras à sa fille qui s'y précipita sans tarder.

« Je sentais que tu ne dormais pas, lui murmura-t-il ;
- Comment tu veux que je réussisse à dormir. »

Il ne répondit rien. Ils restèrent plusieurs minutes dans cette position, le plus âgé déposant occasionnellement de tendre baisers sur la tête de sa fille.

« Va t'habiller, dit-il finalement ;
- Pardon ?
- Va t'habiller, on va la voir.
- Quoi, mais papouchat on va en avoir pour des heures.
- Ça te tente pas un petit road trip, mon croissant de lune ? Si on part maintenant, on arrivera pour le lever du soleil au plus tard. »

Sans plus d'argumentation, Anastasia s'empressa de se changer et retrouva son père devant la porte d'entrée. Elle l'observa écrire un rapide mot qu'il déposa rapidement sur le frigo avant qu'ils ne prennent la route.



      Ç'aurait été la première année où ils ne lui auraient pas rendu visite. Savoir cela avait consumé Anastasia de l'intérieur dès son arrivée sur le sol anglais. Être à plusieurs centaines de kilomètres de la tombe de sa mère était aussi dur que cela puisse paraître, si ce n'est plus. Durant ces trois mois et demi, elle avait plusieurs fois eu le réflexe de se dire de passer la voir après les cours avant de se souvenir que ce n'était plus aussi simple.

« Tu nous mets un peu de musique ? C'est tout triste là, dit finalement Christian après la première heure de route. »

Anastasia fouilla quelques instants dans la boîte à gants.

« Qu'est-ce que tu préfères, Bowie, les Beatles ou Depeche Mode ?
- Quel choix ! »


      Après avoir écouté les trois, chanté à voix haute et imité les instruments à la bouche, ils décidèrent de faire une pause. Ils venaient de passer Leeds. Anastasia profitait de l'air frais des premières heures du matin, les yeux clos. Son père vérifiait s'il n'avait pas d'appel manqué d'Eleanor.

« Tu veux que je prenne le volant ?
- T'as pas conduit depuis deux ans, ma Ana.
- Je peux aller doucement, pour que tu puisses te reposer un peu.
- T'es sûre de toi ?
- Oui, parfaitement sûre.
- Au volant championne ! »




      Conduire permit a Anastasia de faire taire ses pensées envahissantes. Elle concentra toute son attention sur la route, chantant de temps en temps en rythme avec Christian.

« Tu vas bien, mon croissant de lune ?
- J'ai connu de meilleures journées.
- À part aujourd'hui. On a le droit d'être tristes aujourd'hui. Tous les deux. »

Elle prit quelques instants à répondre, prenant la sortie indiquée par le gps. Ce silence sembla suffire au grisonnant.

« Tu sais que je t'aime plus que tout, pas vrai ? C'est toi et moi contre le monde.
- Moi aussi je t'aime papouchat, mais parfois j'ai l'impression que je me fais bouffer par le monde, que je suis pas assez forte pour me battre.
- N'importe quoi. Tu es forte ma fille, beaucoup plus que tu ne le penses. Tu te surmènes. Et c'est normal que ton corps, que ton cerveau, que ton âme n'arrivent plus à suivre. Tu as besoin de repos, c'est humain. C'est comme ça, il faut écouter ton corps parfois.
- Oui mais les études-
- Tut tut, j'en ai rien à faire. Tu es brillante, ma lune. Tu réussiras quoi qu'il arrive, j'ai confiance en toi là-dessus. Tes études ne justifient sûrement pas de ruiner ta santé. »

Elle sentit la main de son père se poser sur son épaule. Il ne la retira pas du reste du trajet, traçant des formes rassurantes.

Elle se gara finalement dans une petite rue isolée, proche de leur ancienne maison. Anastasia posa sa main sur celle de son père, la serrant fortement. Ils n'osaient pas sortir de la voiture, craintifs de la dure réalité. La brune entendit son père pleurer plus qu'elle ne le vit.

« C'est tout drôle de revenir ici, sourit-il faiblement ;
- Papouchat, on est devant la boulangerie. Il y en a aussi à Oxford tu sais. »

Il lui tira la langue, une habitude qu'elle lui avait emprunté.

« On y va ? Je pense qu'elle nous attend.
- Elle est morte, je te rappelle.
- Je sais. Et alors ? »

Ils sortirent simultanément de la voiture, claquant faiblement les portières. Ils passèrent devant la maison dans laquelle la brune avait grandi, s'arrêtant quelques instants pour se remémorer quelques souvenirs. Marchant encore quelques minutes, ils firent une seconde pause aux portes du cimetière. Anastasia prit une grande inspiration et ne s'arrêta que face à sa mère. Elle entendit les pas plus lents de son père.

« On dirait que ta tante est passée par là, dit simplement Christian en constatant les fleurs fraîches ;
- Deja ? Il est a peine huit heures.
- Je pense qu'on n'est pas les seuls à avoir manqué de sommeil. Tu l'as pris ?
- Évidemment.
- Katie, ma chérie, celle-ci est pour toi. »

Anastasia déposa délicatement l'enceinte au sol et aux more de Ob-La-Di, Ob-La-Da des Beatles, ils entamèrent leur rituel de danse annuel, chantant à haute voix : « Life goes on ».

La réussite des astresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant