chapitre seize

9 3 3
                                    






Evan



La veille, Evan avait passé l'une des meilleures soirées de sa vie. James était l'homme le plus doux qu'il n'avait jamais rencontré. Il avait à peine dormi, excité à l'idée de le revoir. Il s'était levé tôt, avait pris le temps de choisir sa tenue, avait même déjeuné avec sa mère. Quelle ne fut pas la surprise d'Éleanor de trouver son fils attablé dans le salon, chocolat chaud en main. « Tout va bien mon rayon de soleil ? ». Ils avaient échangé à propos de la librairie, de Christian, d'Anastasia, du travail de sa mère. Elle était partie s'enfermer dans son bureau après une bonne heure de conversation, laissant Evan avec son anticipation.
Il était neuf heures du matin. Il ne commençait qu'en début d'après-midi. Il fallait qu'il trouve une activité pour tuer son temps sans focaliser sur son rendez-vous de la veille.

Le mois de novembre pointait doucement le bout de son nez, emportant avec lui les dernières rares chaleurs d'Angleterre. Il décida tout de même d'aller nager dans la rivière. La fraîcheur l'aiderait à rester calme. Il regretta amèrement sa décision quand le vent le frappa de plein fouet. Grelottant, il tentait tant bien que mal de se concentrer sur autre chose que le froid agressif ; les fleurs de sa mère qui commençaient à faner ou bien le petit lapin courant à travers le jardin à toute allure.
Il trempa rapidement les doigts dans l'eau et regretta de nouveau sa décision.

« Allez Evan, c'est que de l'eau froide. T'as vécu pire que ça, se motiva-t-il. »

Il prit une dernière grande inspiration et plongea tête la première. Ses cheveux lui collaient au visage, lui brouillaient la vision. Ses muscles s'engourdirent presque instantanément. Quelle idée de merde. Il fit quelques longueurs, tentant vainement de se réchauffer. Son épaule gauche commençait doucement à lui faire mal. Il la sentait se raidir à chaque mouvement. Épuisé, il gagna lentement le bord, le bras gauche devenu inutilisable.

Il trouva Anastasia assise au milieu du jardin, emmitouflée dans une énorme couverture. Elle semblait l'attendre, serviette en main. Elle lui tendit sans un mot, un regard inquiet peint sur son visage. Il la saisit de la main droite, la passant rapidement autour de ses épaules.

« Je t'ai vu du balcon. T'es complètement taré, il fait cinq degrés, s'offusqua la brune ;
- J'aime bien aller nager, ça me vide un peu l'esprit.
- Fais attention quand même. Regarde, t'as l'épaule toute bloquée. »

Elle fit un geste vers l'épaule gauche du blond avec le dessein de l'aider mais fut accueilli par un mouvement de recul brusque. Elle retira rapidement sa main. Il observa la surprise puis une légère peur traverser son regard. Evan se sentit soudainement honteux. Il avait provoqué des émotions trop sombres à une personne si pure par simple peur de la douleur.

« Excuse-moi, je voulais pas te faire peur. Je, hum, c'est une zone assez sensible.
- Non, non. C'est moi ! J'aurais jamais dû. Pour qui je me prends à te toucher comme ça. »

Il passa une main tremblante dans ses cheveux. Anastasia la suivit des yeux.

« T'as l'air gelé. Hop, on rentre. Tu vas aller prendre une douche bien chaude. »






Chaudement habillé, il toquait doucement à la porte de la brune. Une mélodie inaudible se dégageait de la pièce. Elle lui ouvrit la porte avec un sourire et l'invita à s'installer à ses côtés.
Il n'était jamais réellement entré dans la chambre d'Anastasia. La bibliothèque était pleine à craquer. Chacun de ses murs était occupé par des posters ou des photos. Son lit trônait au centre dans la pièce, un peu comme dans la sienne, le bureau à côté de la fenêtre. Il remarqua du coin de l'œil un miroir sur pied tourné vers le mur.

« À quelle heure tu commences aujourd'hui ?, demanda-t-elle ;
- Treize heures.
- Oh, t'as encore pas mal de temps. »

Il hocha distraitement la tête, observant les photos aux côtés de la porte. Deux ressortaient particulièrement. Il était familier avec la première, une copie trônait fièrement sur l'une des bibliothèques du salon. Le cliché avait été pris lors de la danse de Christian avec Anastasia. Il la soulevait à bout de bras, le même sourire éblouissant sur chacun de leur visage. La seconde intrigua le blond. Il reconnut Ana et son père, chacun embrassant la joue d'une femme tirant la langue. Il reconnut le nez de la brune et l'implantation des sourcils. Oh, il s'agissait de sa mère.

« Elle est belle. »

Mais quelle idée de dire ça de la mère décédée de la fille du mari de sa mère. Il entendit Ana se lever de sa place sur le lit pour venir à ses côtés.

« Elle est tres belle.
- Tu lui ressembles beaucoup, dit-il doucement ;
- Tu trouves ?
- Hum, hum. Surtout comme ça, avec tes cheveux courts. »

Il l'observa porter une main timide à ses cheveux.

« Elle me manque beaucoup. Surtout en ce moment.
- Ah oui ?
- Ça va faire quatre ans le huit. »

Oh. Il se sentit tout bête. Un peu à court à de mots, il se contenta de prendre sa main. Elle la serra mécaniquement.

« C'est quoi cette chanson ? »

Elle sembla reconnaissante du changement de sujet.

« Dancing Barefoot de Patti Smith, tu connais pas ?
- Ça me dit rien.
- Olala, Evan, mais où est ta culture musicale.
- Aïe. Pas cool ça, Anastasia. »

Elle lui tira la langue. Il leva les yeux au ciel.

« Tu viens avec moi tout à l'heure ?
- Oh, non je pense pas. Je pense dormir encore un peu.
- C'est bien, t'as raison. Profite tant que tu n'es pas dans le monde du travail.
- Quel drama queen. Tu travailles cinq heures par jours, quatre jours par semaine.
- C'est énorme.
- Oui oui, énorme c'est le mot. Puis me fais pas croire que t'es pas content, tu peux admirer ton amoureux à longueur de journée.
- C'est pas mon amoureux.
- Comme Will n'est pas le mien.
- Il va falloir qu'on parle du fait que tu te tapes mon meilleur ami.
- Pardon ? Je me tape pas ton meilleur ami, on se fait simplement de petits bisous de temps en temps. C'est tout. Rien de plus. Non mais n'importe quoi. »

Il rit franchement face à la gêne de la brune. Elle lui offrit son majeur.

La réussite des astresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant