Cela faisait au moins trois boites entières qu'Eliott venait de vider. Et six qu'il avait remplies avec des vieux bouquins poussiéreux et usés. Les étagères avaient toute été vidées. Cela semblait impossible vu de l'extérieur, mais à chaque fin d'année scolaire ils en profitaient pour tout retirer des étagères, les laver et trier les livres qu'ils conservaient et ceux qui partaient pour une nouvelle vie.
"Tu sais que je déteste ce moment de l'année... Ca me fait toujours mal au cœur de vendre ces livres..
- Papa on ne peut pas garder les plus vieux entassés dans des cartons, ils vont finir par moisir. Et au moins tu leur donnes une nouvelle vie en les revendant.
- Je n'arrive même plus à savoir les premiers qui étaient dans la librairie de ta mère.. Je ne sais pas si elle serait contente qu'on les vende.
- On ne peut pas garder tout ce qui était à Maman, ce serait impossible.
Le libraire soupira en inspectant chaque livre qui partaient pour une nouvelle vie. Souvent il les revendait aux marchés ou aux brocantes, et quand ça ne marchait pas, il allait les donner aux écoles et aux bibliothèques des collèges et des lycées. Il se baissa et lu à voix haute les différents auteurs des romans et des livres qu'il donnait.
« Albert Camus, Montaigne, Victor Hugo.. Tu ne veux pas en récupérer certains ?
- Papa je les ai presque tous lu, et j'aimerais me tourner vers la philosophie et peut-être la poésie..
- La poésie ? Toi lire de la poésie ? Mais tu ne voulais jamais entendre parler de poésie !
- Bon papa, j'ai juste envie d'essayer et de m'ouvrir un peu plus. »
Eliott passa un nouveau coup de chiffon sur les étagères en bois en sifflotant. Pendant ce temps, son père s'était appuyé contre la porte de la réserve et le regardait intrigué.
« Toi, tu veux impressionner une fille.
- Papa s'il te plaît ! J'ai juste envie d'en savoir un peu plus sur la poésie 'y a rien de mal. »
Il lâcha un petit rire avant de ranger les autres rayons de livres qui étaient propres. Et enfin, Eliott déposa le chiffon sur le comptoir en regardant son père qui essayait de lever les cartons pleins. Il se rua vers lui pour récupérer les boîtes avec beaucoup plus de facilité.
« Laisse-moi faire. Tu as déjà mal au dos à force de monter sur l'échelle et porter les livres. »
Il amena un à un les cartons jusqu'à la réserve et les empila les uns sur les autres. Il était tellement préoccupé par ce grand nettoyage qu'il n'entendit même pas la clochette de la librairie sonner, signalant l'arrivée de quelqu'un. Une petite silhouette aux bouclettes blondes marchait entre les rayons, ne comprenant pas ce soudain désordre.
« Thomas ! s'écria le libraire en voyant l'ami de son fils avancer, ne fais pas attention au bazar on est en plein nettoyage !
- Oh je ne savais pas ! J'étais venu voir Eliott pour lui proposer de faire un tour, mais je peux vous donner un coup de mains si vous le souhaitez.
- Mais non ne t'en fait pas ! Eliott m'a juste déposé quelques cartons et il a grand besoin de prendre l'air ! Viens en attendant, 'y a pas mal de bouquins qu'on va bazarder, donc si jamais tu en trouves plusieurs que tu aimerais prendre fais ton choix ! »
Thomas inspecta les différentes boites et leurs écritures, il fut soudain intrigué par l'une d'entre elle. Evidemment c'était une boîte remplie de livres et de recueils de poésie. Il se mit à regarder les différents titres quand Eliott l'interrompit :
« Tu veux nous débarrasser d'un carton ? »
Le blond releva les yeux vers le brun et se remit debout sur ses jambes frêles tout en frottant l'arrière de sa nuque.
« Ton père m'a proposé de jeter un coup d'œil, mais à vrai dire je n'ai plus tellement la place pour les livres. Tu m'en as déjà tellement prêté, d'ailleurs je suis venu t'en ramener. »
Il attrapa son sac et sortit plusieurs romans d'aventure qu'il tendit à son ami. Il les déposa sur le comptoir, se promettant de les ranger plus tard tandis qu'il regardait Thomas.
« Tu étais juste venu pour me rendre des livres ?
- Non en fait, je voulais te proposer une balade.
- Et il va aller faire une balade aussi ! s'exclama le père d'Eliott, va ! Je peux m'occuper de ces quelques livres tout seul !
- Papa tu es sûr ?
- Mais oui ! Aller ! Filez donc faire vos activités.. d'ados ! »
Eliott afficha un grand sourire et s'empressa de monter dans sa chambre pour récupérer quelques affaires. Pendant ce temps, Thomas se reconcentra sur la boîte remplie de livres et en attrapa deux.
« Je peux vous prendre ceux-là monsieur Lemarchand ?
- Bien sûr Thomas ! Prends-en autant que tu veux ! »
Il s'approcha du jeune garçon pour regarder ses trouvailles. Il avait récupéré un exemplaire du poète Gérard de Nerval intitulé « Les Chimères » et un autre de Du Bellay « Les Regrets ».
« Eh bien ! Ce ne sont pas des recueils très évidents ! J'ai lu les Chimères il y a quelques années et je l'ai trouvé impressionnant.
- J'avais lu quelques poèmes. Notamment "Antéros" et je l'ai beaucoup apprécié ! Je trouve qu'il représente parfaitement la divinité. Mais bon, le poème « Vers dorés » n'est pas mal du tout, il dresse une parfaite critique de la citation de Pythagore sur le sensible, une vraie question du romantisme.
- Et bien, je vois que tu t'y connais en littérature !
- Oh pas en littérature, je suis surtout passionné de poésie. »
Le père hocha la tête d'un air impressionné tandis que son fils descendait les escaliers de colimaçon.
« Alors ton choix est fait ? »
Thomas désigna les deux recueils qu'il avait choisi et Eliott les lu attentivement. Il n'avait pas la moindre idée de ce que c'était, et le nom des auteurs lui était inconnu. Pourtant, il s'intéressa et suggéra même à son ami de lui faire la lecture lorsqu'ils feront une pause dans leur balade. Sur ce, ils saluèrent le libraire et se dirigèrent vers la sortie sous l'œil intrigué de la figure paternelle. Et soudain, les pièces du puzzle s'assemblèrent, ses yeux s'écarquillèrent tandis que son regard faisait des allers-retours entre la boîte de poésie, le jeune Morel et son fils.
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11.08.2023
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Our Fairytale
RomanceJ'ai toujours entendu dire que l'art avait plusieurs âmes, et que chacunes d'entre elles s'expriment à sa façon. Mais, je ne pensais pas que nos deux âmes totalement opposées auraient une chance de créer l'harmonie.