Tantor l'âme de l'épée

14

Kriddo s'impatientait.
Cela faisait longtemps déjà qu'ils étaient sortis de ce mausolée où les zombies les avaient attaqué par surprise.

Le colosse avait décapité son frère de sang. Jamais il ne pourrait oublier le regard vide, mauvais de Treggar, même si cette chose n'était plus son demi-frère, comme Londar ne cessait de le lui répéter.

Certes, c'était facile à dire, mais il se souvenait à présent de détails sordides qu'il avait noté sans vraiment le remarquer sur le vif du sujet. Par exemple, il revoyait l'abdomen de son frère totalement déchiqueté, complètement éviscéré, signe que les zombies s'étaient repus de ses entrailles.
Il en eut la chair de poule en repensant à ce qu'aurait pu lui réserver Treggar, s'il ne l'avait pas coupé en deux morceaux inégaux.
Il s'efforça de ne plus se remémorer ces images si tristes, hélas l'inaction favorise les pensées vagabondes...

Les six Elfes, dont Adon, s'étaient battus comme des lions dans ce souterrain maudit, alors que leur race exécrait les mines ou les cavernes, étant façonnés pour les forêts immenses et prairies verdoyantes.
Adon aida son ami Elfe blessé, avec la précieuse aide de Londar.
Mais la blessure présentait des signes de cyanose, la peau étant violacée autour de la morsure et la plaie purulente. La main mordue commençait déjà à répandre une terrible odeur d'avariée, ce qui était plus qu'alarmant.

Londar songea même un instant à amputer sur le champ l'extrémité du membre, mais ne put se résoudre à proposer cette option à haute voix. Il espérait en son for intérieur que Solilar ait une meilleure idée, il faudrait attendre son retour.

Kriddo erra un moment parmi les décombres qui se trouvaient aux alentours, se souvenant des derniers moments agréables qu'il avait partagés avec son frère trois jours plus tôt.
Il aperçut soudain le marteau de guerre de Treggar, laissé à l'abandon sur le sol sableux.
Il saurait le reconnaître entre mille, la couleur acier de son manche ainsi que les reliefs ciselés de sa zone de frappe, il le ramassa respectueusement en remerciant Styrglass.

Les derniers zombies non décapités, avaient été exécutés une fois pour toute par les flèches précises des Elfes, chaque trait tiré en plein crâne semblait rompre le charme maléfique.

Depuis un long moment déjà Kriddo rongeait son frein, il voulait redescendre afin d'aider ses trois compagnons encore prisonniers des ténèbres.
Le géant d'ébène tournait en rond, tel un fauve en cage. Londar tentait de le calmer, mais lui aussi pensait que cela était bien trop long pour être normal.
-- J'y vais ! lança soudainement Kriddo, ne pouvant plus tenir en place.
-- D'accord, je viens avec toi, annonça le guérisseur en se levant.
Adon s'approcha et sorti son sabre elfique, signifiant ainsi qu'il les accompagnerait.
Les deux hommes des sables demandèrent aux cinq Elfes de monter la garde avant de pénétrer le boyau qui descendait vers les ténèbres maléfiques. Ils ramassèrent les torches qu'ils avaient laissées à l'abandon un peu plus tôt.
Après avoir atteint le hall d'entrée et s'être assurés que les zombies qui les avaient suivis dans leur diversion étaient et resteraient immobiles pour toujours, les trois hommes se dirigèrent vers l'escalier.
Ils s'enfoncèrent dans l'antre du mal en étant constamment sur leurs gardes. Ils prirent pied dans le couloir qui menait au pentacle, parés à toute agression.

Aucun bruit. Le silence total régnait ici bas, ce qui les inquiéta.
Ils avancèrent à pas de loups et franchirent la porte à double battant restée entrouverte.

Londar, ne commettant pas deux fois la même erreur, s'occupa d'invoquer une protection magique pendant que Kriddo et Adon se tenaient prêts à recevoir des assaillants éventuels.
Le géant ne put s'empêcher de regarder vers l'endroit où le corps dévasté de son demi-frère gisait, les larmes lui vinrent immédiatement aux yeux.
Il se força à rester concentré.
Londar leur fit signe d'entrer dans l'aura lumineuse de couleur bleuté qui l'entourait à présent.
Protégés des non morts dans cet écrin d'azur circulaire, ils avancèrent en direction du centre de la grande pièce, à l'endroit où ils avaient aperçu pour la dernière fois leurs trois amis.
-- Non ! Non ! cria presque Londar en découvrant le corps inerte de Tristar, au pied de l'un des murs.
Ils se ruèrent au secours du demi Elfe et se jetèrent à genoux pour l'ausculter au plus vite.
-- Il respire, mais il est très faible, annonça le guérisseur, Kriddo, tiens moi la torche !
Londar palpa son ami avec précaution. Puis, il attrapa sa besace qu'il portait en bandoulière d'où il sortit une petite fiole transparente au liquide verdâtre.
Délicatement, le guérisseur releva la tête de son ami pour verser quelques gouttes dans la bouche entrouverte et sanguinolente.
L'épais breuvage amer coula lentement le long de l'œsophage et mit un certain temps à faire son effet.
Ensuite, après d'interminables instants, Tristar ouvrit les yeux.
Il fut sur le point de rendre tripes et boyaux. L'archer arriva, non sans peine, à contrôler ses spasmes et referma les yeux un moment pour reprendre son souffle.
-- Où sont Solilar et Nandrag ? demanda-t-il, dans un effort douloureux.
-- Je ne sais pas, mais nous allons le découvrir. Ne t'en fais pas et repose toi ! Tu as de sérieuses brûlures ainsi que de multiples fractures, il ne faut pas que tu bouges, tu comprends ?
Le demi Elfe cligna les yeux pour signifier son assentiment.